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On se raconta des faits dramatiques ou touchants : celui de the O’Rahilly qui, après avoir tout fait pour empêcher la rébellion, s’y jette et se fait tuer ; celui de G race Gifford, dont le portrait par William Orpen, sous le titre de Young Ireland, avait excité naguère l’admiration des Londoniens, et qui, fiancée à Joseph Plunkett, l’épousa une heure avant son exécution, pour avoir le droit de porter son nom ; celui de Connolly, fusillé sur une chaise, — blessé, il ne pouvait se tenir debout, — et qui, dans son dernier entretien avec sa femme et sa fille, « brave, presque joyeux, » leur dit : « Je remercie Dieu de m’avoir permis de vivre assez longtemps pour voir lever l’aurore. » Ainsi l’horreur qu’on avait d’abord ressentie pour le crime, on commence à l’éprouver pour la répression britannique. Peu à peu retournée, l’opinion irlandaise, sans approuver la rébellion, se prend de compassion, de sympathie pour les rebelles dont elle fait des martyrs et des héros. Hostile jusqu’alors aux idées extrémistes, le gros de la population allait tendre à s’y rallier, si rien n’était fait pour l’en détourner, pour réconcilier l’Irlande.

Par deux fois, à un an d’intervalle, le gouvernement tenta de faire quelque chose, mais sans conviction ni volonté d’aboutir, soucieux surtout de faire tenir l’Irlande tranquille. Au mois de juin 1916, il remet le home rule sur le tapis et offre aux Irlandais la mise en vigueur de l’Acte de 1914 sous réserve de l’exclusion temporaire de six comtés de l’Ulster jusqu’à la fin de la guerre, une conférence impériale devant alors régler cette difficile question ulstérienne ainsi que la question non moins délicate des finances de l’Irlande. Redmond, muni de ces offres écrites, acceptées par lui, acceptées bientôt aussi par le Conseil d’Ulster, les fait non sans peine d’ailleurs approuver par un congrès nationaliste. Il semble qu’on ait enfin abouti et que le gouvernement n’ait plus qu’à légaliser l’accord : mais on comptait sans les Tories et sans les Orangistes, qui déchirent l’accord en exigeant pour l’Ulster l’exclusion définitive et non plus seulement temporaire. Une fois de plus le gouvernement cède et s’incline, et Redmond reste avec un nouvel échec, et la responsabilité de s’être encore laissé jouer. Une fois de plus le ressentiment de l’Irlande s’accentue et se monte contre l’Angleterre, comme contre les parlementaires nationalistes dont l’Angleterre se sert contre leur pairie même. Comme toujours, se dit-on, l’Angleterre nous trompe et se moque de nous. Du