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front même viennent ces plaintes, tristes et touchantes : Nous croyions nous battre pour la liberté, hélas ! nous savons bien maintenant que l’Angleterre nous trahira !…

L’année d’après, en 1917, c’est la même histoire, avec une autre mise en scène. M. Lloyd George, qui depuis décembre 1916 est chef du gouvernement, et entouré dans son ministère des principaux chefs de la coalition tory-orangiste, propose, sur une suggestion officieuse de Redmond, de réunir une grande assemblée ou Convention, composée d’Irlandais représentatifs de tous les partis, qui s’efforcerait d’établir un projet de constitution autonome dans le cadre de l’Empire ; il s’engage, si la Convention aboutit à un « accord de fond, » à présenter au Parlement un projet de loi conçu suivant les bases de cet accord. De part et d’autre, la proposition fut acceptée, les extrémistes restant seuls en dehors, et la Convention, composée pour une part de membres nommés par le gouvernement, et pour le surplus de membres choisis par les partis politiques et les autorités constituées, se réunit pour la première fois le 25 juillet 1917 à Dublin. Il y avait là des hommes de toutes les opinions et de toutes les croyances : il y avait John Redmond, quatre évêques catholiques, le savant Mahaffy, prévôt de Trinity College, le docteur Bernard, archevêque protestant de Dublin, Lord Midleton, chef des unionistes du Sud, l’économiste et poète George Russell, plus connu dans les lettres sous les initiales de A. E. Lord Londonderry et M. Barry, chefs de la délégation ulstérienne, sir Horace Plunkett, le créateur du mouvement coopératif, le grand distillateur Andrew Jameson, dont le nom, suivant le mot connu, est « dans toutes les bouches irlandaises. » Les délibérations, sous la présidence de sir Horace Plunkett, se prolongeront, portes closes, pendant huit mois. Tout de suite on se rendit compte qu’à l’exception des Ulstériens, qui n’étaient là qu’ad referendum, simple porte-paroles des autorités occultes de l’Orangisme, sans pouvoir ni responsabilité, tous les Irlandais rapprochés dans ces réunions, comme les soldats dans la tranchée, subissaient l’influence de la solidarité nationale qui les unissait et développait en eux, par-dessus les divergences politiques, un heureux esprit de tolérance et de transaction. Après bien des vicissitudes, et après une intervention personnelle de M. Lloyd George, une majorité relative, composée des nationalistes modérés, des unionistes du Sud, qui firent à la patrie commune le sacrifice de leur unionisme,