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tempérament modère, temporisateur, volontiers porté aux compromis parce qu’il voyait mieux, en même lumps que les possibilités, les obstacles et les limites. Il s’est, par exemple, aliéné bien des appuis en Irlande, entre autres celui d’une bonne partie du clergé et de l’épiscopat, par sa condescendance envers les Ulstériens, par son désir de trouver avec eux un terrain de conciliation, — duperie, lui disait-on, — par l’assentiment qu’il crut devoir donner à l’idée d’une sécession temporaire et provisoire de l’Ulster, — le provisoire n’est-il pas ce qui dure le plus ? — Il voulait aboutir, même au prix de compromis douloureux : l’essentiel à ses yeux c’était d’obtenir enfin le home rule, même selon une formule insuffisante que l’avenir, pensait-il, se chargerait d’améliorer. C’était un homme essentiellement loyal et généreux, voyant loin et pensant juste. Ce qui lui restera comme un titre d’honneur, c’est d’avoir, le 3 août 1914, quand certains Irlandais, la mémoire toute pleine de leur passé, pouvaient hésiter entre la lutte nationale contre l’Angleterre et la lutte du monde contre le germanisme, résolument jeté son pays dans le camp des Alliés, et fait passer la cause de la civilisation avant la cause personnelle d’Erin, au risque de sacrifier celle-ci à celle-là… Quelle tristesse de penser que cet acte si noble et courageux, ce bel acte d’homme d’État, est l’un de ceux pour lesquels Redmond et ses collègues du parti parlementaire, ont été après 1916, en Irlande même, le plus violemment attaqués ! Et avec la plus cruelle injustice. « Vous avez engagé l’Irlande, leur disait-on, comme si elle était libre, — elle ne l’était pas, — et sur la promesse de la liberté, promesse qui n’a pas été tenue ; vous auriez dû poser vos conditions : vous avez été trompés. » — « Ou bien vous nous avez trompés, déclaraient les plus avancés. Vous n’aviez pas le pouvoir d’engager le pays, et vous l’avez engagé sans garantie. Vous avez juré le loyalisme d’Erin comme si vous aviez Erin dans votre poche. Vous avez pris la cause de l’Irlande, lourde du poids de sept siècles d’histoire et de tradition, et vous l’avez jetée par la fenêtre[1]. » Aveuglée, exaspérée par les rebuffades de l’Angleterre, l’Irlande témoigne ainsi à ses serviteurs fidèles la plus choquante ingratitude. A Dublin, où il avait été si souvent acclamé, Redmond se vit parfois, pendant la Convention, hué

  1. Textuel : The insurrection in Dublin, par James Stephens, Dublin, 1916.