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L’Irlande, d’autre part, si elle n’est pas sans excuse, n’est pas, tant s’en faut, sans reproche. Elle a cru que la guerre fonderait et scellerait sa liberté : on quoi elle a été trompée. Elle a commencé par répondre, en un louable mouvement de conscience, et de confiance, à l’appel que lui adressaient, par la bouche de Redmond, l’Angleterre et les Alliés. Mais ce bel effort, elle n’eut pas le courage et la patience de le maintenir lorsqu’elle vit que la guerre ne lui apportait pas, à elle, la justice. Ulcérée par les refus et les duretés anglaises, par l’échec lamentable de ses aspirations nationales, par le triomphe de l’Orangisme, l’Irlande, sous la pression des circonstances, isolée, loin de tout, laisse ses griefs et son antibritannisme prendre le pas sur la cause de la civilisation, elle désavoue son leader, elle se retire de la guerre, elle ne sait pas réagir devant l’exemple et les tentations de l’extrémisme : et on voit alors se changer en désastre ce qui aurait dû être son succès et sa gloire. Elle perd devant le monde le mérite de son sacrifice initial, et sort de la guerre en vaincue.

Combien le cours de l’histoire n’eût-il pas été changé, si l’Irlande avait suivi jusqu’au bout le chef qui lui montrait la voie, et si elle avait mis dans l’acceptation de l’épreuve la même générosité, la même persévérance que lui ! N’est-il pas permis de penser que si elle s’était donnée jusqu’au bout à la cause du droit et de la liberté dans la grande guerre, elle eût été ensuite en mesure de forcer moralement l’Angleterre à lui faire droit, à lui donner la liberté ? N’est-il pas à croire qu’elle eût en fin de compte obtenu, par l’action constitutionnelle, sans violence ni compromission, tout ce que l’extrémisme se fait fort de lui gagner un jour, mais à quel prix ? En tout cas, elle aurait eu clairement pour elle l’opinion du monde. Et si, à la Conférence de Paris, les Puissances n’ont pas voulu écouter les délégués d’une Irlande soi-disant indépendante, si elles n’ont depuis lors jamais osé plaider la cause d’Erin auprès du gouvernement britannique, il n’est guère douteux qu’il en eut été autrement, si l’Irlande, après avoir été jusqu’au bout à la peine, avait été aussi à l’honneur.


L. PAUL-DUBOIS.