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Il commença par décliner la mission qu’on lui voulait confier, alléguant sa jeunesse, son inexpérience. Mais le curé insista, et le vicaire obéit.

Il prit avec lui un ami commun, « homme, dit-il, de beaucoup d’esprit et qui était intime de M. de La Fontaine, » (peut-être Maucroix ; plus probablement Racine) et se présenta chez le malade pour savoir de ses nouvelles. Insensiblement il mit la conversation sur les vérités de la religion. La Fontaine n’éluda pas l’entretien, mais avoua combien il lui répugnait d’admettre l’éternité des peines : « Je me suis mis depuis quelque temps, dit-il, à lire le Nouveau Testament ; je vous assure que c’est un fort bon livre, oui, par ma foi, c’est un bon livre. Mais il y a un article sur lequel je ne me suis pas rendu, c’est celui de l’éternité des peines ; je ne comprends pas comment cette éternité peut s’accorder avec la bonté de Dieu. » A quoi l’ecclésiastique répondit qu’il n’était point nécessaire de comprendre, qu’il suffisait de croire à la révélation, que, du reste, l’éternité des peines était fondée en raison, et, comme il était tout frais émoulu de la Sorbonne, il cita abondamment saint Augustin, les Pères, les théologiens, si bien que sous ce déluge de preuves La Fontaine se rendit et pria le vicaire de revenir le voir. Quelques heures plus tard, le vicaire était la prêt à reprendre la controverse. Pendant dix ou douze jours, le tête-à-tête se renouvela.

L’abbé Pouget a dit l’impression que lui laissèrent ces longues conversations :


M. de La Fontaine n’avait jamais été absolument mécréant, mais aussi c’était un homme qui, comme tout le monde sait, n’avait jamais fait de la religion son capital. C’était un homme abstrait qui ne pensait guère de suite, qui avait quelquefois de très agréables saillies, qui d’autres fois paraissait avoir peu d’esprit, qui ne s’embarrassait de rien et qui ne prenait rien fort à cœur. La maladie le mit en état de faire des réflexions sérieuses. Je lui ai connu, pendant ce temps-là, un grand fond de bon sens. Il saisissait le vrai, et il s’y rendait ; il ne cherchait point à chicaner. Il me parut agir avec droiture et bonne foi, et il me dit que s’il prenait le parti de se confesser, je verrais qu’il le ferait tout de son mieux et qu’il ne jouerait pas la comédie…


Il finit par se décider à une confession générale, et certes il ne joua pas la comédie. D’ailleurs, cette confession générale,