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à chacun vient son heure, environ la moitié de sa cinquante-sixième année, il tomba malade et, ayant reçu chrétiennement les sacrements et demandé pardon à Dieu de tout ce qui pouvait lui déplaire et qu’avait fait en lui la naturelle faiblesse, réconcilié de ses péchés, au mois de septembre de l’an 1321, en la fête de l’exaltation de la sainte Croix, à l’immense deuil du susdit prince et de toute la ville de Ravenne, il rendit à son Créateur son esprit tourmenté ; et je ne doute pas que son âme n’ait été reçue dans les bras de sa très noble Béatrice, avec laquelle, dans la présence de Celui qui est le souverain bien, délivré enfin des misères de ce monde, il jouit de la béatitude qui n’aura pas de fin. »

Je n’ai pu résister au plaisir de traduire cette page de Boccace, dont j’aurais voulu conserver le charme original. En ces jours où l’Italie, par la voix de ses savants et de ses hommes d’État, commémore le plus illustre de ses enfants et célèbre le prophète de son unité nationale, nous ne pouvions être absents de l’hommage du monde à la tombe sacrée. Y a-t-il parmi nous « une âme née latine » et qui demeure étrangère à la religion de l’Italie ? Y a-t-il un homme simplement homme qui refuse sa gratitude à l’aîné des poètes modernes, le premier qui ait fait rendre à la muse du moyen âge les accents d’une humanité qui nous émeut encore, et qui soit pour le monde chrétien quelque chose comme un autre Virgile ou un second Homère ?

Il faut un guide pour le voyage : je me servirai du beau livre que M. Corrado Ricci, l’éminent directeur du Museo nationale, a consacré jadis, avec une piété touchante, au séjour de Dante à Ravenne. Le livre date déjà de trente ans ; je n’ai pas vu encore la nouvelle édition qui nous en est promise. J’ignore ce que l’auteur y aura corrigé de ses premières conjectures ; j’ajouterai çà et là les retouches qu’ont apportées les plus récentes découvertes.

C’est sans doute en 1317 que Dante devint l’hôte de Guy de Polenta. Boccace, — bien informé des choses, puisqu’il se renseigna sur place et put connaître encore quelques survivants de la société de Dante, comme le notaire Pierre Dujardin, et surtout le fils du poète, Pietro Alighieri, — nous apprend que le séjour de Dante dura « plusieurs années. »

On ne retrouverait guère dans la Ravenne d’aujourd’hui la Ravenne que Dante a connue. La sous-préfecture endormie avec ses palais vénitiens, son air d’aristocratie provinciale, ressemble peu, excepté par l’abandon et le délabrement, à la ville du moyen âge.