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Trivia ride tra le ninfe eterne

ou le vers miraculeux sur le « printemps éternel : »

Che notturno Ariete non dispoglia.

Ainsi le poète, dans ce testament, a fait sa paix avec la vie. Il n’a pas renoncé à toutes ses idées : seulement, il les ajourne, et n’assigne plus à Dieu, pour l’œuvre du salut, une échéance précise. Le poète exprime encore sa confiance dans un revirement des choses, qui les remettra dans leur sens et dans leur vérité, mais de plus en plus cette espérance se confond, dans un recul infini, avec le plan supérieur des espérances religieuses, qui peut-être ne sont pas faites pour se réaliser en ce monde. Il a, autant que jamais, ce double sentiment qui fait le poète épique : le sentiment profond d’une incurable décadence, et celui d’un réveil futur, mais dont l’époque se déplace et se transpose désormais dans le domaine de l’éternel.

Cependant, au milieu de ces sérénités, se montre encore la force des sentiments terrestres. On sent que le vieil homme n’est pas mort. Il caresse une dernière chimère, et c’est un trait nouveau, — combien émouvant ! — de l’évolution du poêle. Au début, et tout en déchargeant sa rage contre ses ennemis, il avait pris légèrement son parti de l’exil. Il parlait volontiers en citoyen du monde : « Nous dont la patrie est la terre, et qui y sommes partout chez nous, comme le poisson dans l’eau… » Il écrivait ainsi tant qu’il avait pu croire son exil provisoire. A présent, il venait encore, en termes magnifiques, de repousser une offre d’amnistie humiliante : « Ce n’est pas tête basse qu’un Dante rentre dans sa patrie… Si je ne puis autrement, eh bien ! soit, je ne rentrerai pas. Ne puis-je contempler n’importe où le ciel et les étoiles ? Ne puis-je méditer en tous lieux les douces vérités ? » Il se fermait à jamais, par cette lettre admirable, les portes de Florence : c’est dans cette obstination que le poète se montre vraiment un « carré » invincible, un intraitable « tétragone. » On voit cependant à quel point, sous ce superbe étalage de stoïcisme philosophique, le sacrifice lui coûtait. A mesure qu’en vieillissant.il voyait reculer l’espoir, s’élevait dans son âme la nostalgie de la patrie. De plus en plus il faut se figurer le poète, sur la plaine de Ravenne, tel que le représente le beau tableau de Michelino, que l’on voit à un pilier de la cathédrale de Florence : debout dans une solitude peuplée de visions, mais errant comme une âme en peine autour des murailles d’une ville où l’on reconnaît le dôme de Sainte-Marie de la Fleur et le « beau San Giovanni, » et « le tendre