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Saumaise passa vingt ans à Leyde. Il n’y fut pas très heureux. Il ne portait pas le bonheur en lui. Le climat lui déplaisait, et les gens, ces « ventres de bière. » Jalousies de collègues, querelles de préséance et de place, toute sorte de piqûres d’épingles lui gâtèrent la vie. Mlle Saumaise y aida, qui ne voulait pas être appelée « Mademoiselle, » comme toutes les femmes de professeurs, mais « Madame, » en femme de gentilhomme.

Surtout, il y avait à, Leyde l’ennemi, le rival, le seul qui pût disputer à Saumaise la royauté dans la cité des érudits : Heinsius. Les haines de savants du vieux temps n’étaient pas silencieuses. Ils s’injurièrent en héros d’Homère, et enrichissaient à tour de rôle les libraires de leurs invectives in-quarto. Il fallut que les curateurs s’entremissent pour leur faire jurer de ne plus rien publier l’un contre l’autre.

Saumaise est toujours grognon, réclame ceci ou cela, demande des congés, prolonge ses absences, fait valoir les offres magnifiques qu’on lui fait en France de la part du Roi ou du Prince de Condé, pour le retenir. Les curateurs sont d’une patience angélique. Honneurs, argent, ils lui accordent tout : ils ne se plaignent que de son absence, et ils s’excusent presque tendrement de le faire. Le Prince d’Orange leur écrit de ne laisser partir à aucun prix un aussi grand personnage.

Content ou mécontent, Saumaise finissait par rester ou revenir. Il travaillait. L’armée romaine, le prêt à intérêt, les perruques, la défense du roi Charles Ier, la primauté du Pape, à quel sujet n’était-il pas égal ? Ses publications payaient en gloire la Ville et l’Université qui l’avaient acquis. Sa personne était une de leurs parures, une curiosité qui attirait les étrangers.

Sorbière nous le peint, dans sa chambre, le dimanche soir, devant un grand feu clair, assis au coin de la cheminée, entouré de quinze ou vingt visiteurs de marque, écoutant d’abord, et peu bavard, puis peu à peu laissant déborder son savoir : pendant qu’à l’autre coin, Mlle Saumaise, la fine commère bourguignonne, guette l’occasion de décocher quelque mot piquant à l’un des assistants, et prétend que personne ne se retire sans avoir été lardé.

Qu’un gentilhomme le mette sur le propos de la chasse : Saumaise, « si mal à cheval, » et qui sans doute n’a jamais suivi les chiens, sait tout ce qu’on peut dire sur la vénerie, tout