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fuite, ils subtilisent argent, bijoux, et spécialement aussi liqueurs. — Ils détruisent aussi, et ils brûlent. Ils mettent les maisons à bas et à sac, ils brûlent ou font sauter des édifices municipaux, des bâtiments commerciaux, des usines, des fermes, dont on a chassé les habitants : c’est que des suspects résident là, des sinn-feiners notoires, ou des individus « recherchés, » ou bien c’est qu’un crime républicain a été commis dans le voisinage, si toutefois ce n’est pas de leur part simple volonté de terroriser. Souvent, pour « opérer, » ils s’habillent en civil et se couvrent le visage d’une toile blanche percée de trous pour les yeux, ou de véritables masques qui, sous le nom de goggles, leur sont fournis « pour service de nuit » par les autorités. Parmi les incendies systématiques, il faut signaler ceux des creameries, ou « fruitières, » comme on dit chez nous, qui depuis vingt-cinq ans ont été créées en grand nombre dans les campagnes pour la fabrication du beurre et du fromage et sont un des facteurs importants de la richesse du pays. D’avril à novembre 1920, quarante-deux d’entre elles, faisant un million sterling d’affaires, ont été détruites en tout ou en partie, en réponse à des attaques contre les casernes de police ou au meurtre d’inspecteurs de la constabulary, ou parfois sans cause connue ; au printemps dernier, le chiffre s’élevait à soixante et une. Une ferme brûlée, c’est une famille ruinée. Une usine : un personnel en chômage. Une creamery coopérative : ce sont tous les paysans de la région qui sont frappés, en tant que propriétaires et exploitants, c’est toute la population rurale qui est atteinte d’un même coup.

Pas plus que les choses, les personnes ne sont épargnées. Par vengeance, prévention ou châtiment, les agents de l’ordre se sont mis à tuer aussi facilement que tuent les révolutionnaires : coupables, suspects, républicains militants, gens marqués sur les listes noires. De nuit, masqués, ou la figure noircie, ils entrent dans une maison et se saisissent de tel ou tel qu’ils tuent au lit, ou qu’ils emmènent pour l’abattre dans un champ ou sur la route, laissant le cadavre là où il tombe. Hasard ou erreur, dans le trouble et l’excitation, c’est souvent aussi l’innocent qui est frappé, le passant qui fait de l’embarras ou l’inconnu qui a le malheur de déplaire : tel le chanoine Magner, âgé de soixante-treize ans, tué en décembre 1920, alors qu’il intervenait pour protéger un cycliste en démêlé avec la police, par le