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Quelques-uns sont tués. On fait sauter ou on brûle tout le village, ou tout un quartier de ville, ou tout un lot de maisons. Parfois il n’y a au raid de cause discernable que le désir de faire un exemple. D’avril à juillet 1920, une soixantaine de villes ou bourgades ont été ainsi mises à sac en tout ou en partie, et depuis lors le rythme des « dragonnades » n’a fait que s’accélérer jusqu’à la fin de l’année ; on croirait voir les cités-martyres de la Belgique ou de nos régions du Nord : « c’est pis que tout ce que j’ai vu en France, » disait un sergent britannique. Notez qu’il s’agit là d’opérations faites de sang-froid, sans l’excuse de la légitime défense ou de la chaleur du combat : les forces opérantes viennent de loin, munies de tout ce qu’il leur faut ; souvent il semble que le choix ait été fait d’avance des immeubles à détruire. Notez aussi qu’il ne s’agit pas de frapper les auteurs d’un crime ou d’un attentat : on punit une collectivité, pour des coupables qui peut-être ne lui appartiennent pas. Ainsi aboutit-on, le 11 décembre 1920, à l’événement le plus tragique de la série, le sac de Cork. Ce matin-là, dans une embuscade aux environs de la ville, les républicains ont tué un « cadet » et en ont blessé onze ; le soir même, l’assaut est donné à la plus belle partie de la cité par les Auxiliaires et les Black and Tans qui violentent la population, tirent à tort et à travers, incendient la bibliothèque Carnegie, le City Hall et d’autres bâtiments municipaux, une cinquantaine d’immeubles privés, la majeure portion de Patrick Street ; sept millions de livres de dégâts au bas mot, sans parler du pillage : Cork, écrit un prêtre, ressemble à Louvain.

Tout cela est « non officiel, » comme on dit là-bas, « non autorisé, » et « ignoré » en haut lieu. Après Cork, comme après chaque affaire, le « Château » nie contre toute évidence la responsabilité des forces de la Couronne, et se contente de mettre les faits au compte du Sinn Fein : disons d’ailleurs d’une façon générale qu’il faudrait être bien ignorant des traditions et de l’esprit qui l’animent pour ajouter foi sans une critique sévère à ses déclarations ou communiqués, qui ne sont à vrai dire que des moyens d’offensive ou de défensive diplomatique dont il se sert sans scrupule dans la guerre qu’il mène contre l’Irlande. En réalité, les violences, les « représailles » exercées proprio motu par la police, s’il les condamne en théorie, il les a tolérées en fait pendant des mois, tacitement approuvées, voire