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L’Empereur sentait ses forces diminuer chaque jour ; mais il croyait devoir attribuer cet affaiblissement prolongé, cet engourdissement incessant au défaut d’exercice. Quoique déjà dans un état de santé fort critique, il décida, pour ranimer ses forces, de faire tous les jours une promenade en calèche. Ceci dura une quinzaine. Il faisait deux ou trois fois le tour du bois au galop des chevaux ; mais cette vitesse de la voiture finit par le fatiguer à un tel degré qu’il ne voulut plus aller qu’au pas. En dernier lieu, il ne voulait plus que la calèche vint le chercher ; il allait lui-même la prendre aux écuries. Il s’efforçait ainsi à entretenir le peu de forces qui lui restaient. Lorsqu’il se sentait trop faible pour marcher seul, il prenait le bras de M. de Montholon qui l’accompagnait habituellement, ou celui de Marchand, si le comte n’était pas encore arrivé, et allait ainsi gagner les écuries. Sa promenade durait environ une heure ; il la faisait avant le diner, qui était alors vers les trois ou quatre heures.

En rentrant de sa promenade, il passait au salon et se couchait sur son canapé que l’on avait reculé devant la console, et là, comme un homme anéanti, il restait quelques minutes pour prendre haleine et se reposer. Pendant ce temps on préparait son couvert. « Laissez, laissez-moi respirer » » disait-il à Pierron et à moi, et, portant alternativement les yeux sur M. de Montholon et sur nous, il ajoutait : « Je ne sais ce que j’ai à l’estomac ; la douleur que je ressens est comme celle que ferait un couteau qu’on y aurait enfoncé et qu’on se plairait à remuer. » Quand il était un peu reposé, il faisait approcher la table et se mettait en devoir de manger. La faim qui l’avait tourmenté pendant la promenade, le tourmentait encore lorsqu’il étendait sa serviette sur lui ; mais il n’avait pas plus tôt porté à sa bouche les premières cuillerées de son potage, que l’appétit disparaissait tout à coup. Il continuait de manger cependant, mais sans plaisir, sans besoin. Il ne trouvait rien de bon ; tout lui répugnait, excepté quelques très minces lèches de pain trempées dans du jus de gigot, quelques petites cuillerées de gelée de viande et quelques rouelles de pommes de terre frites. Pour boisson, il ne prenait qu’un demi-verre de vin mêlé, à autant d’eau. Une goutte de café terminait le repas. Il se recouchait sur son canapé, où il restait environ une heure, et allait ensuite se mettre au lit.

Depuis que l’Empereur vivait dans cet état de malaise, il