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n’avait plus le courage de s’habiller. Quand il voulait sortir en voiture, il gardait son pantalon et ses pantoufles et remplaçait sa robe de chambre par une redingote verte, et son madras par un chapeau rond.

Dans la matinée de chaque jour, il allait prendre l’air sous son berceau, où il faisait une petite promenade, et s’asseyait sur son pliant-fauteuil lorsqu’il sentait fléchir ses jambes. Il répétait souvent : « Ah ! moi ! pauvre moi ! » et, tournant les yeux sur celui ou ceux qui étaient auprès de lui, il débitait ces vers que Voltaire met dans la bouche de Lusignan :


Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre.
Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre :
Je vais au Roi des rois demander aujourd’hui
Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui !


et il les prononçait avec l’accent d’un homme qui a perdu toute espérance, et de manière à imprimer dans le cœur des assistants ce qu’il ressentait lui-même. Il pouvait apercevoir sur le visage et dans les yeux de chacun quel effet produisaient dans leur cœur ces paroles sorties de sa bouche.

Dans un temps plus heureux, mais cependant dans un moment fort critique, on l’avait entendu sur le champ de bataille prononcer ceux-ci :


Et dans les factions comme dans les combats,
Du triomphe à la chute il n’est souvent qu’un pas.
J’ai servi, commandé, vaincu quarante années ;
Du monde, entre mes mains, j’ai vu les destinées,
Et j’ai toujours connu qu’en chaque événement
Le destin des États dépendait d’un moment.


L’état de langueur et d’affaiblissement, dans lequel se voyait l’Empereur et dont il ne pouvait s’expliquer la cause, le détermina à se faire mettre des vésicatoires aux bras. Il croyait par cette application prévenir une maladie qui semblait vouloir s’annoncer comme fort sérieuse. Mais ces vésicatoires ne produisirent aucun effet et se séchèrent. Quelques jours après, il les fit remplacer par un cautère qui, à son tour, n’eut rien d’efficace. Malgré l’inutilité de celui-ci, il le conserva, espérant qu’avec le temps ce moyen, qu’il pensait être souverain, aurait un résultat favorable, d’après l’expérience qu’il en avait faite dans