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médecin. Le Grand-Maréchal et M. de Montholon se trouvèrent fort embarrassés quand ils connurent cette volonté presque impérative du gouverneur. Enfin l’un et l’autre, après avoir longtemps réfléchi et s’être consultés, se décidèrent, en prenant beaucoup de précautions, à faire entendre à l’Empereur que, dans l’état où il se trouvait, ils croyaient nécessaire la présence d’un médecin qui aidât de ses conseils le docteur Antommarchi. « Deux avis valent mieux qu’un, » dit le Grand-Maréchal. Contre leur attente, l’Empereur consentit à admettre chez lui un médecin anglais. Ils lui parlèrent du docteur Arnott, médecin du 20e régiment, qui était au camp et dont l’Empereur avait entendu parler avant d’être sérieusement malade. Dès qu’il se fut prononcé, ces messieurs, par l’entremise de l’officier d’ordonnance, envoyèrent chercher le docteur, qui ne se fit pas longtemps attendre, et ils l’introduisirent chez l’Empereur qui le vit avec plaisir.

M. Arnott, vêtu d’une grande redingote bleue, était d’une assez haute taille ; il était déjà sur l’âge et avait de la gravité dans le maintien. Il avait beaucoup voyagé, paraissait homme fort instruit et plein d’expérience. Il inspira de la confiance à l’Empereur. La première entrevue se passa très bien. Après s’être consultés, les deux médecins ordonnèrent des délayants. Chaque jour, le médecin anglais venait visiter l’Empereur. Mais, quoi que fissent et ordonnassent les deux médecins, la position du malade ne s’améliorait pas ; les vomissements continuaient. On remarquait dans ce que l’Empereur rejetait, beaucoup de bile mêlée de petits filaments de sang caillé.

Bien avant que l’Empereur se fût alité, Noverraz était retenu au lit (par une maladie de cœur, à ce que je puis me rappeler), et le garda pendant tout le temps de la maladie de l’Empereur. Dès lors, le service de nuit avait dû être fait par Marchand et par moi.

Le jour, l’Empereur couchait dans sa petite chambre à coucher et la nuit dans son cabinet. Dans le courant de la nuit, temps pendant lequel il avait presque constamment la fièvre et par conséquent était en transpiration, il faisait changer fréquemment son gilet de flanelle et son madras. Celui qui était de service se tenait dans la pièce même où était l’Empereur, assis sur une chaise, à deux pas du lit, à attendre qu’il demandât qu’on le changeât de gilet et de madras, ou qu’on lui