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de rares exceptions, s’exerce impitoyablement sur chaque génération d’écrivains quand ils ne sont défendus devant la postérité que par des œuvres d’imagination… » Je crois qu’en écrivant ces lignes telles que les voilà, il songeait à lui et comptait, pour l’avenir, plus que sur ses dizaines de romans, sur ses livres d’histoire ; et je crois qu’il ne s’est pas trompé. Quoi qu’il en soit du goût de nos petits-neveux, Ernest Daudet a publié quelques-uns des plus beaux documents d’histoire qu’un avisé chercheur de notre époque ait découverts ; enfin l’on ne saurait étudier la Révolution, l’Empire et la Restauration sans recourir à ses ouvrages.

Il n’avait pas eu tout d’abord le projet de s’établir le grand fureteur d’archives et de vieux papiers qu’il est devenu. Mais un jour, peu de temps après son arrivée à Paris, Paul Dalloz lui demanda un roman pour la Petite presse. Il fallait que ce fût très émouvant, pathétique même, et qu’il y eût de grosses péripéties comme en exigent les liseurs de feuilletons, dit-on. « Je lui proposai l’un des plus effroyables épisodes de la Terreur, celui dont Jourdan-coupe-têtes fut, dans la ville d’Avignon, le sinistre héros… » Ce Jourdan, qui avait de l’entrain, s’était imaginé, une fois, de prendre et de réunir soixante et une personnes, femmes et hommes, des aristocrates, et de les précipiter du Château des Papes. Si les liseurs de feuilletons en voulaient davantage, on aurait tort de les satisfaire. Là-dessus, Daudet fut informé que le musée Calvet, d’Avignon, possédait une quantité de pièces relatives à Jourdan-coupe-têtes et à ses malheureuses victimes. Bref, il partit pour Avignon, dépouilla les archives intéressantes et s’aperçut que la vérité est souvent plus extravagante, et pittoresque, et hardie, que l’invention des romanciers. De ses trouvailles, il fit un roman, tout mêlé d’histoire. Mais, de son voyage et de sa recherche, il rapporta, et la conserva désormais, la passion de la vérité singulière, qui a le plus de singularité dans son exactitude la plus fine : et c’est l’histoire.

En tête de son recueil intitulé A travers trois siècles, Ernest Daudet cite ce passage de Maupassant : « Beaucoup ne sont pas frappés par l’acuité vibrante… » Ce n’est pas la plus belle phrase de Maupassant… « par l’acuité vibrante de la vie contemporaine comme ils sont émus par certaines apparitions de l’histoire, d’où découlent pour eux des idées générales, des rêves artistes ou philosophiques… » C’est décidément l’une des plus mauvaises phrases de Maupassant… « L’Aujourd’hui est trop près, trop connu, trop deviné, pas assez imprévu pour nous donner la bizarre sensation d’étrangeté et de grandeur qu’on