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Mais l’expérience achetée à ce prix est si douloureuse que je ne souhaite à personne de l’acquérir si chèrement. Les soucis de ce qu’on aime, la poursuite désespérée de l’argent, la détresse profonde et non avouée, la honte des sollicitations importunes, les courses matinales chez le curé de la paroisse, le premier et le seul à qui on ose tout dire, l’angoisse de l’attente succédant aux demandes, les réponses qui n’arrivent pas, l’incertitude du lendemain, l’horizon sans éclaircie… Lecteur, Dieu te garde de ces épreuves ! » En 1857, il fallut vendre les meubles, payer les dettes et assurer l’honorabilité du nom. Puis Ernest Daudet partit pour Paris : il lui restait, en arrivant, cinquante francs.

C’est ici que commencent les Souvenirs de mon temps ou Débuts d’un homme de lettres. Le garçon de vingt ans, qui avait la passion de la littérature, se proposait tout bonnement ceci : « La reconstruction d’un foyer détruit. » Et le moyen ? La littérature ! S’il ne doutait pas de la difficulté, il avait conscience de sa force. Il était débile pourtant ; mais il avait de l’énergie. Le premier tome des Souvenirs ne s’étend que sur quatre années. Quelles années, d’espoirs déçus, de vains efforts et de tracas à décourager les plus robustes ! Un bon accueil, en général ; et des promesses, puis ce n’est rien. Si les journaux de Paris n’ont pas besoin de copie, le débutant passe des semaines ou des mois en province, à Blois ou Alençon, par exemple, et dirige un pauvre petit journal. Ou bien on l’envoie dans l’Ardèche. Une autre fois, on lui offre d’aller fonder un journal, mais ce n’est point aux environs de Paris : c’est à l’île Bourbon ; de riches planteurs demandent, pour mettre en lumière leurs opinions et pour servir leurs intérêts, un jeune homme de bonne famille et qui ait du talent. Il refuse. Une autre fois encore, on le place chez un vieux bonhomme qui a été membre du Conseil d’État, qui est à la retraite et qui se promet d’écrire un grand ouvrage sur La liberté des mers. Le partisan de cette liberté n’avait plus toute sa tête à lui. Ernest Daudet lui rédigea quelques pages et le quitta.

Les déboires ne suffisaient pas à le défaire de sa volonté. Une charmante chose est que, dans le récit de ses déboires, il n’y a ni amertume ni rancune, pas un mot sévère, nulles représailles contre les gaillards dédaigneux qui ne l’ont guère secondé. A le lire, on dirait que tout le monde lui a été gentil : et c’est lui principalement qui l’était.

Il esquisse un portrait de Pontmartin, qui l’obligea, un portrait qui est un remerciement, du reste sans flatterie ; mais la flatterie et la