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Et pourtant, de ce falot athénée, sortirent en dix années, cinq membres de l’Institut[1]. Parmi nos lycées les plus orgueilleux, quel est celui qui, dans un temps aussi court, a fourni pareille moisson à la France ?

Au reste, peu importait alors la science du professeur. Apprendre le grec ou le latin, l’histoire ou la philosophie, n’entrait guère dans les aspirations de la jeunesse. Un mouvement irrésistible poussait toute cette génération vers les champs de bataille : des soldats, voilà tout ce que l’État demandait à la France. Toute l’éducation s’orientait vers ce but : habit militaire, exercice au fusil, marche au tambour ; chaque collège était un stage à Fontainebleau. Dans les cours, il n’était question que de Miltiade ou d’Alexandre, de Marathon ou d’Arbelles : dans les récréations, d’Austerlitz ou de Marengo : Thémistocle devenait le brave des braves, César s’incarnait dans l’Empereur et Roi. Et puis, lorsqu’arrivaient les bulletins de victoire, quand, du haut du château, le canon faisait retentir la cité de ses salves triomphales, l’enthousiasme fermentait dans les jeunes têtes. On recherchait avidement le Moniteur ; on y lisait les noms des amis, des camarades de la veille, les uns décorés, les autres promus lieutenants ou capitaines. Que ne se trouvait-on à leur place, comme eux que ne rêvait-on d’accomplir ?

Je possède sur l’arrivée d’Augustin Thierry au collège de Blois, ses premiers succès et ses espiègleries d’écolier un curieux document inédit, rédigé par un de ses anciens maîtres[2], M. Gaudeau, que l’historien devenu célèbre entoura toujours d’une affectueuse estime, ainsi qu’en témoignèrent de nombreuses démarches et des recommandations de toute sorte. Je le transcris ici dans sa forme naïve.

A la rentrée des classes de l’année 1805, à l’école communale secondaire de Blois, où j’étais entré quelques mois auparavant en qualité de professeur de cinquième, je fus nommé membre d’une commission chargée d’examiner les élèves qui devaient être admis en sixième. Parmi ceux qui nous furent présentés parut un tout jeune enfant, à la figure ronde, aux beaux yeux noirs, aux cheveux

  1. Par-dessus, Augustin Thierry, Amédée Thierry, de la Saussaye, de Pétigny.
  2. A l’intention de la Société académique des Sciences et des Lettres du Loir- et-Cher et non publié, j’ignore pourquoi.