Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

châtains, aux sourcils bien arqués, à la physionomie moitié timide, moitié hilarante, un léger sourire sur les lèvres et l’air à peu près assuré, annonçant la confiance dans ce qui allait se passer.

En effet, les questions faites à l’enfant sur les premiers éléments du latin, furent répondues avec un aplomb, une précision et une intelligence qui nous frappèrent. « Comment t’appelles-tu, mon petit ? dis-je alors à l’intéressant enfant. — Thierry, monsieur. — Ah ! le fils de M. Thierry, eh bien ! je lui en ferai mon compliment. »

Deux ou trois jours plus tard, je vis M. Thierry, et comme j’allais lui parler, il me dit le premier : « Eh bien ! monsieur Gaudeau, vous avez interrogé mon petit Augustin. Qu’en pensez-vous ? — Je pense, ma foi, qu’à la fin de l’année, vous l’entendrez faire rafle de tous les premiers prix, car, en vérité, je n’ai jamais encore entendu un enfant de cet âge montrer autant de lucidité dans ses idées et ses souvenirs et de netteté dans ses expressions. J’oserai presque vous promettre en lui un homme de génie. — Ah ! bah ! vous me flattez. — Eh bien ! monsieur Thierry, vous verrez si je me trompe ; je suis un peu prophète pour les enfants ; si jamais je me marie, la plus grande faveur que je demanderai au Ciel, ce sera qu’il me donne un fils semblable au vôtre. — Allons, allons, tant mieux ! Aussi bien le pauvre enfant n’aura que son talent pour ressource. »

A la fin de l’année scolaire, à la première distribution des prix, où retentit le nom d’Augustin Thierry, la première partie de ma prédiction s’accomplit.

Un certain temps s’écoula, et le petit enfant, devenu un peu plus grand, me vint en cinquième et justifia complètement le pressentiment que j’avais conçu de la manière dont il ferait ses études.

C’était la coutume à l’école communale secondaire de Blois, réunissant alors au-delà de deux cents étudiants, de lire les notes de chaque trimestre en présence de tous les maîtres et de tous les élèves rassemblés. J’avais rédigé le bulletin du jeune Thierry, qui ne contenait que des notes excellentes, et à l’article travail ou aptitudes, j’avais mis : très intelligent, dispositions transcendantes, succès étonnants. À ces mots, le sourire de l’incrédulité parut sur les lèvres de quelques-uns des professeurs, et j’entendis ces mots : « Ah ! c’est bien là M. Gaudeau, toujours louangeur. — Écoutez, monsieur, dis-je en m’adressant à celui qui avait proféré cet assez mauvais propos et qui ne croyait pas avoir été entendu, si moi, vous et l’enfant vivons âge d’homme, vous verrez nt nous verrons. » Assez espiègle, sans cesser d’être aimable, bon, docile, et surtout bon camarade, le jeune Augustin Thierry ne refusait pas de