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difficile), que le peuple allemand n’est responsable ni de la guerre ni de ses conséquences. « Nous prouverons, m’affirmait, il y a peu de jours, le professeur Hœniger, à l’aide des documents qui ont été trouvés soit sur le front russe, soit en Belgique et sur le front français (il m’a parlé notamment de documents qui auraient été découverts au fort de Moronvilliers), que l’Allemagne a été victime d’un guet-apens. Nos diplomates ont pu commettre des erreurs, nous sommes innocents. » L’immense majorité des Allemands est aujourd’hui convaincue que la guerre a été une « guerre de défense. » « Si l’Empereur a déclaré la guerre, m’a-t-on maintes fois répété, c’est parce qu’il savait bien que nous allions être attaqués ; ce n’est pas celui qui déclare la guerre qui est le véritable auteur du conflit. »

L’Allemagne sent combien il est important pour elle de faire admettre que, si ses diplomates ont été maladroits ou ont commis des erreurs (on ne les défend guère), le peuple du moins est innocent. « A quelque parti politique que nous appartenions, nous devons, dit Streseman, entreprendre une campagne acharnée pour montrer que notre bon peuple n’est pas coupable. » Parlant de là, on déclare que l’Allemagne ne doit pas être « punie. » C’est une monstruosité de parler de châtiment. Le traité de Versailles, fondé sur l’idée de la culpabilité de l’Allemagne, ne peut être respecté.

Et de même que les Allemands déclinent toute responsabilité, ils se refusent aussi à accepter l’idée de « regret. » « Nous n’avons rien à regretter, » m’a déclaré avec aigreur le professeur Ulrich Stulz, juriste estimé, directeur de la Fondation Savigny. Et comme je disais à un de ses collègues que nous nous serions montrés moins défiants si nous avions pu constater l’existence en Allemagne d’un sentiment de contrition pour le passé et de ferme propos pour l’avenir : « Eh quoi ! me répondit-il, de pareils sentiments, c’est bon pour les enfants qu’on invite à demander pardon quand ils ont fait une sottise ; nous sommes parvenus à un degré plus élevé d’intellectualité. »

Le peuple allemand accepte donc de payer, comme paye le joueur qui, ayant commis des fautes, a perdu la partie. Mais il espère bien gagner la partie suivante. Et il est décidé à tenter de nouveau la chance. J’ai demandé souvent si on voulait recommencer la guerre. Les réponses qui m’ont été faites n’ont guère varié. « Une nouvelle guerre est inévitable, » ne m’a pas