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« Mauvaise tactique, ajoutent-ils ; vous ne faites, en agissant de cette manière, que renforcer la cohésion nationale et paralyser les tendances séparatistes auxquelles vous étiez favorables. »

Beaucoup d’Allemands vont jusqu’à regretter que le gouvernement ait accepté l’ultimatum. « Il eût mieux valu, m’ont-ils dit, laisser vos soldats occuper la Ruhr. On aurait bien vu ce que cela vous aurait donné ! Lloyd George nous aurait d’ailleurs défendus. » La plupart des industriels ne sont pas de cet avis. L’un d’eux faisait naguère la remarque suivante : « Les Français n’auraient pas été trop embarrassés pour exploiter nos mines. Mais ils n’auraient pu, faute de wagons, expédier au dehors tout le charbon qu’ils en auraient extrait. Ils en auraient vendu sur place une notable partie. C’est aux industriels de Rhénanie et de Westphalie qu’ils l’auraient cédé. La situation des industriels dans les autres parties de l’Allemagne aurait vite été déplorable. »


* * *

Toutefois la diversité des réflexions que j’ai recueillies au cours de mon voyage m’a permis de constater que les Allemands ne jugent pas tous la situation de la même façon. Beaucoup reconnaissent qu’ils « doivent » réparer le mal qu’ils ont fait.

Ainsi le gouvernement actuel admet que l’Allemagne a au moins sa part de responsabilité ; il parait comprendre, mieux que ceux qui l’ont précédé, les motifs de notre inquiétude ; il essaye de résister à la poussée des partis réactionnaires, et de nous donner quelques satisfactions. Un entretien avec M. Walther Rathenau, la personnalité la plus marquante du ministère, offrait à cet égard un intérêt particulier. M. Rathenau est un homme d’une véritable valeur intellectuelle, et d’une tournure d’esprit originale. C’est un philosophe, en même temps qu’un réalisateur et un savant. Je connaissais, depuis longtemps déjà, ses principaux ouvrages ; il y est dit que l’Allemagne, même victorieuse, se trouvera nécessairement après la guerre en présence de grosses difficultés. Je connaissais aussi ses projets de réformes sociales, et les critiques qu’il avait adressées à l’organisation économique de l’Allemagne telle qu’elle s’était constituée à la fin du XIXe siècle et au commencement du XXe. Je savais comment il réclamait que le Reich fût organisé sur des bases nouvelles, et déclarait l’heure venue de préparer l’avènement d’un état démocratique national, d’un régime qui devait