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avait de la grâce, du piquant, de la vivacité ; elle n’avait aucune espèce de préjugé : elle aimait la littérature et les littérateurs, et, femme de lettres jusqu’au bout des ongles, en aimant les littérateurs, elle obtenait des conseils et des articles. En 1829, elle avait vingt-huit ans, et Chateaubriand, ambassadeur à Rome, en avait soixante et un. Elle vint un jour à l’ambassade, avec une lettre d’introduction de Mme Hamelin. Chateaubriand, qui faisait la cour à une certaine comtesse del Drago, tout en écrivant de belles lettres à Mme de Vichet et à Mme Récamier, Chateaubriand eut vite fait d’oublier et de faire oublier son âge. Quand il retourna peu après en congé à Paris, Hortense ne tarda pas à le suivre ; elle s’installa rue d’Enfer, à la porte de l’Infirmerie Marie-Thérèse. Ils se voyaient souvent, tantôt chez Hortense, tantôt en de galantes promenades, agrémentées de fins dîners en cabinet particulier. On demandait du Champagne, et Hortense chantait des chansons de Béranger, que René admirait fort :


Apparaissez, plaisirs de mon bel âge,
Que d’un coup d’aile a fustigés le temps !


Du moins, c’est Hortense qui nous raconte tout cela. Et nous voulons bien l’en croire sur parole, encore que, quand une femme, et une femme de lettres, raconte certaines choses… Un court séjour à Cauterets, — agrémenté de l’épisode de l’Occitanienne, — la démission de Chateaubriand ne rompirent point cette idylle. René était aimable et tendre, souvent ardent, parfois rêveur et mélancolique ; et Hortense s’accommodait fort bien de cet illustre amoureux, jusqu’au jour où elle s’éprit d’un jeune Anglais du nom de Henry Bulwer Lytton, en attendant Sainte-Beuve. Chateaubriand ne lui tint pas trop rigueur : il la revit souvent et lui écrivit jusqu’à la veille de sa mort de fort aimables lettres, dont Sainte-Beuve eut communication et dont il a publié quelques fragments. Elles forment, quoique tronquées, le plus joli ornement des Enchantements de Prudence.

On lit dans l’une d’elles, datée de mai 1831 : « Ma vie n’est qu’un accident ; je sens que je ne devais pas naître ; acceptez de cet accident la passion, la rapidité et le malheur. Surtout, répondez-moi. Écrivez-moi de ces lettres qui réchauffent, comme vous m’en avez tant écrit, aux premiers temps de notre amour. Que je me sente encore aimé, j’en ai si grand besoin ! Je vous