Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont eux-mêmes remplis d’une masse brune, visqueuse, qui ressemble à de la colle, et qui est de l’extrait de bouillon. Au sortir de ce laboratoire, nous entrons dans une immense cuisine, pleine des vapeurs et de l’odeur du ragoût ; on y fait les conserves. Les boites où seront enfermées ces conserves sont fabriquées un peu plus loin par une machine-outil, qui travaille toute seule, plie et assemble les feuilles de fer-blanc. La chambre où ces boites seront remplies est une vaste ruche, à l’entrée de laquelle les ouvriers sont examinés par une manucure. La boite remplie est fermée dans le vide, pour que l’air ne corrompe point la viande. Nous voyons par un œilleton, dans l’intérieur de la cloche pneumatique, une goutte d’étain en fusion assurer la fermeture. On peint encore la boite en bleu, et après ce dernier travail nous la reconnaissons : c’est le singe que l’on mangeait pendant la guerre. Nous sortons, en longeant des sabots qui ressemblent à un tas de coquillages, et qui seront emportés pour faire de la corne. Depuis le plus haut étage, où les animaux se sont hissés vivants, nous les avons vus qui descendaient en fragments, découpés, élaborés, pressés, cuits, mis en boite. A chaque étage, ce qui est resté inutile redescend à l’étage inférieur. Le sang dans lequel nous avons marché coule dans des rigoles. Et des derniers résidus on fait de l’engrais. Nous sortons enfin de cette usine diabolique où l’être vivant divisé en parcelles est expédié aux quatre coins du monde, sa chair on Europe et sa corne au Japon. Et la vedette qui nous emmène longe encore un bateau lent et lourd, dont le ventre est plein d’os blanchissants.

Naturellement, cette utilisation de la viande a augmenté la valeur du bétail. On a commencé à se préoccuper d’améliorer la race. Et par des croisements, par des soins, par une nourriture choisie on est arrivé aux résultats extraordinaires que j’ai vus au concours agricole de Montevideo. Ce concours agricole n’est pas, comme le nôtre, abandonné aux spécialistes. Tout le monde y va, toutes les fortunes dépendant de l’élevage. Les animaux exposés surprennent les yeux de ceux qui ne sont accoutumés qu’à notre bétail de Normandie ou du Charolais. Imaginez non point des animaux, mais des parallélipipèdes de chair. Le dos est plat et carré comme une table. Les flancs verticaux descendent à angle droit, et vont presque jusqu’au sol. Le tout est monté sur quatre pieds, comme une commode. Je demandais