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comme eût agi et parlé Paul Déroulède. « Radical, modéré, socialiste, conservateur, royaliste, républicain, disait l’ancien président de la Ligue des Patriotes, ce ne sont là que des prénoms ; notre nom patronymique à tous est Français. » Lorsqu’il faisait aux poilus une de ces visites qu’il a rappelées à Sainte-Hermine avec tant de poésie, M. Clemenceau portait mieux que personne notre nom de famille. Il l’a rendu plus éclatant et plus glorieux. Quoi d’étonnant à ce qu’après avoir évoqué, l’autre jour, les fêtes de la victoire, il ait ajouté : « Qui n’a pas vécu ces moments ne sait pas ce que peut donner la vie ? » M. Clemenceau ne passe pas pour très émotif. Mais, Français et patriote, il a éprouvé, à l’heure voulue, une de ces « émotions profondes qui créent l’efficacité de l’action ; » il a vibré avec la vraie France, et aucune action n’a été plus efficace que la sienne.

Déroulède était républicain, mais il avait l’horreur du régime parlementaire et, un jour, le régime parlementaire l’exila. Il n’est pourtant pas aujourd’hui un seul de ceux dont il a combattu la politique intérieure qui ne songe à lui avec reconnaissance. Il a mieux que tout autre contribué à nous sauver de la lâcheté de l’oubli ; il a entretenu la flamme dans la lampe sacrée ; il a fait en sorte que jamais ne fût amnistié, dans nos cœurs, le vol de nos provinces. Ce serait le mal juger que de prétendre qu’il a été le héraut de la revanche. Pas plus qu’aucun Français, il n’aurait voulu prendre la responsabilité de provoquer une guerre pour effacer les conséquences de nos anciens désastres. Mais il comptait, lui aussi, sur la justice immanente ; et dans son ardente foi patriotique, il était convaincu que, tôt ou tard, le militarisme allemand, ivre de ses succès, nous fournirait lui-même l’occasion de le châtier. Il voulait que la France demeurât prête pour ce jour proche ou lointain et qu’elle gardât pieusement jusque-là la mémoire des fils qui lui avaient été enlevés. C’est donc une dette de gratitude qu’a tenu à acquitter le Comité messin, présidé par M. Prevel, ancien maire de la ville, et c’est également une dette de gratitude qu’entend payer le Gouvernement de la République en se faisant représenter, par un de ses membres les plus éminents, à la fête du 16 octobre. Nulle part, on ne pourra se méprendre sur la signification de cette solennité. Le traité de Francfort avait arraché à la France, malgré les protestations des habitants, toute l’Alsace et un morceau de la Lorraine ; aucun peuple civilisé ne pouvait ratifier une aussi audacieuse violation du droit des gens ; jamais cependant la France n’a médité de reprendre les armes pour reconquérir le patrimoine qui