Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Japonais, impuissants à le soustraire à cette avalanche de sympathies un peu bien démonstratives.


Moukden, 24 février.

Six heures du matin. Le train stoppe dans l’immense gare déserte de Moukden ; il fait très froid.

À huit heures, le Maréchal descend de son wagon, accompagné par le sympathique consul de France à Harbin, M. Lépicié, venu à sa rencontre : très en ordre, des enfants japonais le saluent des derniers « Banzaï ! » qu’il devait entendre : il avance sur le quai interminable, et soudain une cacophonie épouvantable éclate à son approche : d’invraisemblables musiciens chinois en tunique amarante, à brandebourgs et à épaulettes, en pantalons noirs trop courts, en képis galonnés surmontés d’un plumet blanc, soufflent à cœur perdu dans de monstrueux ophicléides, serpents ou saxophones ; un chef de musique géant, plus empanaché encore, bat l’air de sa baguette sans regarder ses musiciens : par moments, on croit reconnaître la Marseillaise, ponctuée à chaque mesure de terribles coups de grosse caisse et de cymbales ; le crépitement des pétards chinois éclate de toutes parts ; on a l’impression de pénétrer dans une fête foraine. En bousculade, on entre au Yamato Hotel qui fait partie de la gare et est envahi aussitôt par une foule hétérogène en robe ou en vêtements européens.

À dix heures, le Maréchal monte en automobile au milieu d’un désordre égal à celui de tout à l’heure, suivi d’une lamentable escorte de vieilles voitures battant la ferraille ; le cortège s’engage dans l’immense partie japonaise de la ville, aux larges avenues droites ; arrêt au joli bâtiment de la Banque Industrielle de Chine : les colonies étrangères alliées, les anciens combattants alliés s’y sont réunis aux quelques Français de Moukden pour saluer l’envoyé de la France.

Mais voici que l’assemblée s’écarte pour laisser passer un petit homme maigre et chafouin, habillé en général chinois : c’est le célèbre maréchal Tchang-Tso-Ling. Joffre va à sa rencontre et le fait asseoir à côté de lui sur un canapé recouvert d’une peau de tigre, insigne du commandement ; deux soldats chinois, le revolver en bandoulière, entrés derrière le maréchal chinois, viennent se placer debout derrière lui. Et pendant que les deux maréchaux s’entretiennent par l’intermédiaire d’un