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prête à vous répondre ; de cette façon, je perdrais de cette crainte que vous m’inspirez en dépit de moi, et que je ne vous avoue pas sans rougir, car c’est presque vous faire injure.

Le commissaire est radieux de savoir que vous ne l’oubliez pas. Il désire bien aussi que vous veniez. Si une telle faveur nous était réservée, nous serions résolus de vous présenter à sa femme sous le nom de l’une ou l’autre connaissance de Saint-Cyr. Vous vous prêteriez à cette plaisanterie ; c’est le seul moyen de la mettre à l’aise avec vous, le subterfuge ne durât-il que deux heures.

Adieu, Honoré, je voudrais bien vous serrer la main, vous embrasser : je n’ose y croire. Amitiés de Carraud à vous, et grand désir de vous voir.

Zulma.

Et Balzac répliqua de suite :

Saché, 10 ( ?) juillet 1832.

Oui, j’irai vous voir, et je vous écrirai précisément le jour de mon arrivée, afin que si les chevaux du commissaire et les vôtres sont encore ensemble, vous puissiez me faire la grâce de me prendre, car je suis toujours comme un enfant qui a besoin d’une nourrice, et je serais tout aussi embarrassé pour aller d’Angoulême à la Poudrerie que pour aller en Chine.

Mais vous aurez un hôte bien triste, et, si mon cœur est plein d’amitié tendre et de choses douces pour vous, je suis condamné à un travail si forcé que mon attitude ressemble à de l’impertinence.

Ici, je suis gêné par la vie de château. Il y a du monde, il faut s’habiller à heure fixe, et cela semblerait étrange, à des gens de province, de rester sans dîner pour suivre une idée. Ils m’en ont déjà bien étranglé avec leur cloche ! Mais j’allais retourner à Paris. Je vais donc aller vous accabler de mon amitié et faire comme les enfants qui abusent de la tendresse qu’on leur montre.

Adieu, à bientôt. Vous voir est une idée qui chasse bien des tristesses, car il est si doux, si bon d’être avec les gens que l’on aime ! J’ai grand peur d’être ramené ici par quoique intérêt dont je vous parlerai[1].

  1. Un projet de mariage qui n’eut pas de suite.