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— Tout ça, vous savez, dit-il avec un geste sceptique et vague, tout ça !...

Hélas !... elle a raison, l’irrévérencieuse. Il est laid, ce pauvre « Monsieur » Saint-Jacques, même un peu ridicule. Et plus laid encore est autour de lui le lourd et somptueux appareil qu’édifia non plus « le siècle treize,» mais « le siècle dix-sept. » Un baldaquin, dans le style de Churriguera, que supportent, avec des angelots géants, d’épaisses colonnes torses, chargées de feuilles et de grappes. Au-dessus un autre Saint-Jacques est à cheval celui-là vêtu en pèlerin, coiffé du chapeau rond. De puissants personnages se pressent autour de lui. Tout est démesuré de formes et de couleurs, énorme, peint, doré, criard, insupportable.

Mais les touristes impatients, qu’il me faut bien suivre, n’ont qu’un jour, déclarent-ils, pour s’arrêter ici. Ils réclament de voir la salle capitulaire et ses tapisseries flamandes ; le cloître, le plus grand, le plus beau de l’Espagne ; et le Portique de la Gloire.

C’est au bout de la Nef de la Solitude qui prend son nom à la Solitaire, à la Douloureuse, à la grande Vierge en manteau de velours noir, debout, sept couteaux dans le cœur, sur son autel d’argent ciselé. Le Portique de la Gloire ! Dans trois arcades ogivales, sur un pilier d’albâtre et quatre piliers de granit, tout le ciel s’épanouit avec ses bienheureux. Les flammes de l’Enfer montent comme des lances. Les damnés contournent leurs membres. Les anges, les apôtres avec les grands prophètes font une rayonnante et paisible guirlande... Et le maître Matteo qui leur donna naissance, est à genoux dans l’ombre, au pied du pilier central, tournant le dos à son œuvre incomparable, mais comme la portant toute sur ses épaules humiliées.

N’avait-il pas eu l’audace, cet architecte du roi Fernand II de Léon, de se représenter d’abord parmi les apôtres ? Ah ! que durement lui fit sentir son irrévérence, Pedro Suarez de Desa, le grand archevêque ! Un sculpteur... un artiste... c’est-à-dire moins que rien ! osant placer sa figure parmi celles des saints personnages ! Blessé, déçu, il s’obstina pourtant, le maître Matteo. Il voulait que son humaine apparence put rester près de l’œuvre, durer avec elle. Alors il eut l’idée de cette place discrète, au centre de tout, mais non plus dans la gloire, — par terre, à genoux et se cachant un peu.