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Les gargouilles de son toit, les saints du sa façade, ne font toujours accueil qu’à de la chair souffrante. Aux tout petits carreaux sertis de plomb qui ferment les galeries de ses cours intérieures s’appuient comme autrefois des joues pâles, des fronts bandés, des mains pleines de fièvres... Mais de l’autre côté de la grande place, le couvent de San Jeronimo est devenu l’Ecole Normale des maîtres d’école. Académie de médecine, celui de Fonseca. Séminaire, celui de San Martin Pinario.

De si haut cependant, le présent s’abolit. Quels que puissent être les pas qui marchent aujourd’hui dans ces cloîtres, l’arcade de la pierre est restée la même, comme l’angle des toits sur le ciel léger... Alors, sans personne près de soi que les beaux nuages, sans plus entendre rien, avec les grêles cloches obstinées, que les marteaux du travail qui font leur bruit de toujours, il est possible de s’en retourner loin, très loin à travers les siècles... Moins encore que la ligne des murs construits par les hommes a changé sur le ciel la forme des monts. Le Pico Sacro, devant moi, s’appelait autrefois le Mont Illicino. C’est là que, pour transporter le corps de leur maître, Athanase et, Théodose, les pieux disciples, s’en allèrent chercher une charrette et des bœufs dans la grande métairie de « madame » Lupa...


Pendant sept jours seulement, depuis le départ hasardeux du port de Jaffa, la barque qui les portait avait vogué sur la mer. Quel vent, tout à la fois violent et régulier, soufflait dans les voiles ? Les disciples ne se le demandaient pas. Ils priaient, ils chantaient autour de ce corps supplicié qu’ils avaient secrètement ramassé dans la nuit et disputé aux chiens sous les murs de Jérusalem. Et, comptant que le mort saurait les conduire, et trouver avec eux le lieu de son repos, ils s’abandonnaient au mystère, aux vagues et au vent.

Sous un ciel changeant et pâle, à ces confins du monde connu jusqu’où le fils de Zébédée, jadis, avait fait connaître la parole du Christ, la mer, entre de hautes montagnes, pénétrait dans les terres aussi longuement qu’un fleuve. Ils la suivirent Des chênes, des châtaigniers y trempaient leurs racines. Et de grands taureaux roux comme les fougères mûres, errants dans ces forêts, venaient boire à tous les torrents qui descendaient