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de Castille et Léon, les rois de Portugal. Jusqu’à la mort s’enorgueillissaient du voyage ceux qui l’avaient accompli. Ermangarde, comtesse d’Aquitaine, écrit, au bas d’une lettre, après sa signature : « Sub Ludovico Francorum rege, de Sancto Jacobus redeunte » Ceux qui ne pouvaient venir cherchaient dans leur pensée à se rapprocher. Guillaume le Conquérant, à la bataille d’Hastings, raconte la chronique de Normandie, ne voulut monter qu’un coursier ramené d’Espagne par un chevalier qui avait fait le pèlerinage de Compostelle. Et saint Louis, dit Joinville, « avait pour Monsieur Saint Jacques autant de dévotion que pour Sainte Geneviève. »

Tant de puissants amis enrichissaient son église. Mais le fils de Zébédée, jadis, n’avait-il pas vécu avec le fils de Dieu ? Aussi favorablement, plus favorablement peut-être que tous ces princes, ces rois et ces grands capitaines, il aime à voir venir sur l’interminable chemin, le pauvre pèlerin à qui l’on vola son bagage et qui poursuit sa route à pied, avec ses deux petits enfants, la paysanne qui se lamente d’avoir perdu son fils, le malade abandonné dans la montagne. Sa patience envers eux ne se lasse jamais. Il les écoute, leur répond, les gourmande ou les encourage avec la plus jolie familiarité. Il leur parle tout comme aux rois et sait se déranger aussi bien pour procurer un âne que pour gagner une bataille. Et quand absolument il devient impossible que soit sauvée la pauvre chair humaine, quand il lui faut rester dans l’un des hôpitaux, et puis l’un des cimetières qui l’attendent le long de la route, — il recueille l’âme du moins, il l’emporte : c’est du là-haut qu’il lui montrera sa belle maison terrestre avec les neuf tours, dont l’une « très merveilleusement peinte et très bien couverte de plomb. »


Si dur que fût le chemin pour les pauvres gens, prodigieux était le nombre de ceux qui arrivaient enfin jusqu’à la cité de l’Apôtre. Et cela, quand on réfléchit bien à tous les obstacles qu’il leur fallait surmonter, est merveilleux d’abord comme un premier miracle. Ils arrivaient... et tout de suite, épuisés, bienheureux, éperdus de fatigue et d’adoration, croyaient avoir atteint le commencement du ciel.

Toutes les langues s’entendaient, et toutes les musiques. Dans l’église, c’était un brasillement de cierges. Debout au pied de