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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/539

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que l’avènement d’un nouveau Tsar déchaînerait les passions révolutionnaires et précipiterait la Russie dans une crise effroyable ; ils conclurent que la question monarchique devait être réservée jusqu’à la convocation de l’Assemblée constituante qui se prononcerait souverainement. La thèse fut soutenue avec tant de force et d’opiniâtreté, surtout par Kérensky, que tous les assistants, sauf Goutchkow et Milioukow, y adhérèrent. Avec un désintéressement parfait, le Grand-Duc lui-même acquiesça.


Goutchkow fit alors un suprême effort. S’adressant personnellement au Grand-Duc, invoquant son patriotisme et son courage, il lui démontra la nécessité d’offrir immédiatement au peuple russe l’image vivante d’un chef national :

— Si vous craignez, monseigneur, d’assumer dès maintenant le poids de la couronne impériale, acceptez du moins l’exercice de l’autorité suprême comme « Régent de l’Empire pendant la vacance du trône, » ou, ce qui serait encore un plus beau-titre, comme « Protecteur de la nation, » ainsi que s’appelait Cromwell. En même temps, vous prendriez envers le peuple l’engagement solennel de remettre votre pouvoir à une Assemblée constituante, dès la fin de la guerre.

Cette idée ingénieuse, qui pouvait encore tout sauver, provoqua chez Kérensky une crise de fureur, un déchaînement d’invectives et de menaces, dont tous les assistants furent terrifiés.

Dans ce désarroi général, le Grand-Duc se leva, en déclarant qu’il avait besoin de réfléchir seul quelques instants, et il se dirigea vers la chambre voisine. Mais, d’un bond, Kérensky se précipita devant lui, comme pour lui barrer le chemin :

— Promettez-nous, monseigneur, de ne pas consulter votre femme !

Il avait aussitôt pensé à l’ambitieuse comtesse Brassow, toute-puissante sur l’esprit de son mari. Le Grand-Duc répondit en souriant :

— Rassurez-vous, Alexandre-Féodorowitch, ma femme n’est pas ici en ce moment ; elle est restée à Gatchina.

Cinq minutes plus tard, le Grand-Duc rentra au salon. D’une voix très calme, il déclara :

— J’ai résolu d’abdiquer.

Kérensky exultant lui cria :