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une enquête aux pays du levant.

Sérénité de cette baie de Djouné. Renan a raison de l’appeler le plus beau paysage du monde. Au bord de la mer, dont les eaux sont vertes à la rive et plus foncées dans le lointain, ce sont des jardins d’orangers, de mûriers, de citronniers, et puis, sur les premières pentes, des maisons dans les vergers. Alors s’élèvent les montagnes vêtues de lumière et d’ombre, déchirées parfois par des ravins jaunâtres d’or clair, et leurs grandes formes simples, sévères, sont d’une noblesse religieuse. À cinq ou six cents mètres sur la hauteur, Gaillardot me fait reconnaître Ghazir.

De Ghazir, Renan avait une heure de cheval pour gagner ses fouilles de Gebeil. Sans doute, quand la route n’existait pas et qu’il chevauchait, aux côtés de sa sœur, vers Beyrouth et Sidon, vers Amschit et Amrit, ce devait être encore plus pittoresque. Mais laissons les détails, pour jouir de ce paysage éternel. Qu’il fut heureux, ici ! Il y retrouvait les thèmes de sa vie paysanne, une Bretagne illuminée, et puis les thèmes qui l’ont fait sortir du séminaire, la mutabilité des formes du divin.

Nous atteignons la vallée du Nahr-Ibrahim, l’ancien Adonis. Quand Gaillardot me dit ce nom fameux, je voudrais m’arrêter.

— Et notre déjeuner ? observe vivement cet homme sage. Nous ne pouvons rien nous faire servir qu’à midi, à Amschit ! Nous retrouverons l’Adonis au retour.

La ville de Byblos dépassée, nous aperçûmes Amschit, sur la côte que nous commencions à gravir. C’est ici une terre plus desséchée, ravinée, très semblable aux paysages de la Durance à l’entrée de la Provence montagneuse. Un pin et une maison, sur chaque colline ; des cubes enduits d’un plâtre bleuâtre, des portes et des volets bleus, des toits pointus de tuiles rouges ; des champs soutenus, encadrés, par des murets de pierrailles. Tout le village est dominé par l’établissement des Pères de la Compagnie de Marie, les Maristes, comme on dit communément, et c’est là que nous allons demander l’hospitalité… J’entre dans un terrain, clos d’un mur à la française, aménagé en jardin et qui précède la maison. Un Père est sur une échelle, sa robe relevée, qui attache les branches d’une vigne pour former une tonnelle.

Je me nomme. Quelle joie, dont je suis profondément touché ! Quel regard d’amitié, qui me paierait de toutes mes peines, si j’en avais eu dans une vie trop facile ! Tous les Pères