Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/773

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sible, j’étais trop fiévreux ; des gouttes de sueur perlaient de mon front et des cauchemars fantastiques m’étreignirent jusqu’au matin.

Samedi, 7 août 1915.

Ayant reçu hier soir du papier, je puis écrire, et décide de faire mon journal. Il contiendra des notes auxquelles, suivant mes modestes moyens, j’essaierai de donner une tournure littéraire pour en rendre la lecture plus attrayante et m’aider à mieux apprendre la langue française. Ces notes seront surtout subjectives et résumeront mes diverses impressions et les événements qui se sont déroulés autour de moi depuis le moment de mon arrestation. Elles seront muettes, et pour cause, au sujet de certains détails relatifs à mon procès.

Plus tard, ô chère femme, quand nous serons vieux, si Dieu veut bien nous accorder la grâce de vivre encore longtemps, la lecture de ce journal nous rappellera les jours les plus douloureux de notre existence et nous fera mieux apprécier tout le bonheur que nous éprouvons au sein de la famille en vivant l’un près de l’autre.

Il était un peu plus tard que trois heures et demie lorsque je fus distrait de ma besogne par quelqu’un qui s’arrêtait devant la porte de ma cellule. Je relève mon torse légèrement penché vers la table, dépose mon porte-plume et j’écoute, tandis que je me fais cette réflexion : « Ça y est, un nouvel interrogatoire, les Prussiens vont traiter le camarade Baucq de menteur. » Quelques instants se passent, on ouvre, un soldat s’avance et me demande : « Est-ce vous Philippe Baucq ? » Je réponds oui et il me présente un paquet en me priant d’examiner si c’est bien pour moi… Oh oui, c’est bien pour moi… voici l’adresse… merci, soldat, merci… Immédiatement, je dénoue les ficelles et procède au déballage. Mon Dieu… c’est du linge, tout cela vient de chez moi… Je respire avec ivresse l’air imprégné des senteurs de la chère maison qui se dégage du paquet. Il me semble sentir la caressante haleine de ma chère femme. Ces objets me rappellent mille et une choses : l’armoire de la chambre, le tiroir de la cuisine, le lavabo… les mains, le visage, la bonté de la fée active et bienfaisante, qui, là-bas, fait l’impossible, j’en suis sûr, pour rendre ma captivité moins douloureuse.