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Samedi, 18 septembre.

Le ciel est bleu, mais je ne vois pas de soleil ; dès le lever, je suis accablé d’une obsession terrible dont je ne puis me débarrasser, j’ai peur d’apprendre l’arrestation de ma femme…

D’après mes suppositions, M. J… doit se trouver sous les verrous et être considéré comme le chef de l’espionnage, sans doute aura-t-il avoué me connaître seulement de nom et s’être rendu chez moi pendant mon absence où il aurait parlé à ma femme ? C’est la seule raison pour laquelle je puisse motiver la nouvelle attitude de ces messieurs, qui hier m’ont demandé avec insistance si je connaissais les Pères Meeus, Pirsoul et le chef de l’espionnage…

Il est cinq heures, et je n’ai pas encore été appelé à la visite, Mes suppositions paraissent devoir se confirmer. Il avait été entendu que ma femme se rendrait ce matin chez M. le lieutenant Bergan pour obtenir un laissez-passer. Or, elle n’aura certainement pas manqué d’y aller. Il doit y avoir quelque chose d’anormal qui s’est passé à ce moment. Pendant mon interrogatoire on procédait, j’en suis presque certain, à l’interrogatoire de ma chère femme. Maintenant, le doute s’empare de moi ; si elle avait été arrêtée, on ne lui aurait pas défendu de me faire parvenir mon linge ; comme je ne l’ai pas reçu dimanche dernier, elle devait certainement s’en être munie ; ensuite la visite a peut-être été remise à demain. Je cesse d’écrire, espérant malgré tout que les conjectures de mon cerveau torturé sont erronées au point de vue de l’arrestation. Je suis déprimé et me trouve dans le même état que les premiers jours de mon emprisonnement. Je ne mange plus, je ne trouve plus la force de me mettre au travail ; mon esprit vagabonde.

Dimanche, 19 septembre.

Lugubre 510… pareil à un caveau mortuaire, vous effrayez le soleil, qui n’ose point entrer chez vous, vous me répugnez, vous me glacez, vous m’enveloppez de l’atmosphère humide et froide, sombre et triste dans laquelle tout pleure, vous inondez mon âme d’un brouillard de tristesse.

Il me semble que l’on m’a jeté dans un puits profond, où l’on crie en vain sa détresse, où l’on souffre, où l’on meurt.

Dans ce lugubre 510, toutes mes distractions se sont éva-