Page:Revue des Romans (1839).djvu/154

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tibles attraits d’une aussi charmante personne, mais parce qu’étant ecclésiastique et retenu par des devoirs sacrés, il sut triompher de la passion la plus vive et la plus partagée. Mais Eugénie ne sut pas aussi bien résister au troisième, qui réussit à la séduire par des moyens peu délicats, grossiers même, en allumant son imagination et ses sens par d’infâmes lectures et d’indécents objets, et qui, trouvant leur effet trop lent encore, emploie un moyen plus criminel, le même dont Lovelace s’est servi contre Clarisse, qui en mourut de douleur. Eugénie n’en meurt pas ; après avoir un peu grondé le comte de Ligny, elle lui pardonne, lui donne volontairement tous les droits d’un amant, et l’aime avec une telle fureur, que, lorsqu’elle n’en est plus aimée, lorsqu’il l’a abandonnée, qu’il a voulu la céder à un autre et a eu l’audace de lui en faire la proposition, elle se livre aux excès les plus déplorables !… Il y a cependant un épisode plus révoltant encore ; c’est celui où Eugénie, dans l’espérance d’un mariage éventuel, subordonné à des circonstances qui ne peuvent jamais arriver, se soumet, par un misérable calcul, à des conditions dégradantes qui l’avilissent tout à fait, conditions qui se réalisent sans que le mariage se réalise pour cela. Nous n’entrerons pas plus avant dans ce tissu d’immoralité, et nous croyons en avoir dit assez sur ce roman pour que la mère en interdise la lecture à sa fille. Nous ajouterons seulement, pour l’acquit de notre conscience, que les personnages qui ont part aux aventures si diverses et si variées de la malheureuse Eugénie, sont tous assez bien peints, surtout celui de Saint-Prix, celui de tous ses amants qui eut sur sa vie entière la plus longue et la plus cruelle influence.

LA FAMILLE ALLEMANDE, ou la Destinée, 2 vol. in-12, 1814. — Quoique cet ouvrage ne soit qu’en deux petits volumes, on y trouve l’histoire de trois générations : la mère, la fille et la petite-fille. Le sort de ces trois personnes est très-différent ; l’une épouse un homme qu’elle n’a jamais vu, l’autre prend un mari qu’elle déteste, et la troisième est obligée de faire une sorte de violence à l’amant auquel elle s’unit. Aucun de ces mariages ne tourne à bien, et l’auteur semble avoir pris à tâche de prouver qu’il est difficile qu’une femme soit heureuse. Sans être trop compliqués, les événements qui surviennent dans la Famille allemande sont assez multipliés pour amener une agréable variété de scènes ; les personnages qui la composent habitent successivement l’Allemagne, l’Italie et la France, et quoique l’auteur ne se pique pas d’une grande fidélité dans ses tableaux, il y a parfois de l’intérêt et des traits heureux dans ce petit ouvrage. On y remarque surtout le caractère aimable d’une bonne mère, rivale de sa fille sans le savoir, et qui fait à cette fille ingrate les plus grands et les plus pénibles sacrifices, dont