Page:Revue des Romans (1839).djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’épouse même de son amant ! Pour jouir injustement d’une renommée sans tache, elle fait planer, durant dix-huit ans, sur cette épouse vertueuse, un soupçon que tout confirme, et au bout de dix-huit ans, elle en est quitte pour se faire religieuse, après un aveu tardif qui ne rend point à sa victime une jeunesse noyée de larmes, privée du bonheur domestique, incessamment tourmentée par le désolant contraste d’une conduite irréprochable et d’une réputation flétrie. Nous ne déciderons point si cette fois la dévotion peut compenser l’immoralité. »

ALPHONSINE, ou la Tendresse maternelle, 2 vol. in-8, 1806. — Dans ce roman, Mme  de Genlis a voulu, ainsi qu’elle l’annonce elle-même, tracer le plan d’une éducation sensitive, et elle a choisi pour modèle un enfant né dans les profondes ténèbres d’un souterrain, et qui n’a, jusqu’à l’âge de douze ans, ni l’usage ni même l’idée de l’organe de la vue. Sous le rapport métaphysique et religieux, l’auteur nous paraît avoir manqué son but ; son système est impossible et diamétralement opposé à tous les principes reçus ; la jeune héroïne, loin d’être une créature intéressante, n’est qu’un être ignorant, craintif, qui, au bout de douze années d’instruction, ne sait que jouer avec un grelot ou un éventail. — La morale de ce livre ne nous paraît pas non plus fort orthodoxe. L’égarement de Diana frappe d’abord l’attention, parce que c’est le nœud de l’intrigue. Lorsqu’on attribue une faiblesse au principal personnage d’un roman, il est assez de règle de couvrir cette faiblesse de l’excuse d’une grande passion. Mme  de Genlis n’y a pas mis tant de séduction. Diana, la tête et le cœur encore vivement occupés d’un époux qui la néglige, et que néanmoins elle aime toujours, sollicitée par un amant qui ne lui inspire pas, de son aveu, un attachement bien extraordinaire, cède, après quelques légères résistances, au parfum d’une poudre odorante et d’un bouquet d’héliotrope. On n’est pas mieux édifié de l’histoire du jeune page, soit dans ses espiégleries nocturnes avec la duègne, soit dans son aventure avec Elvire, dont les détails et le dénoûment surtout sont d’un rouge, d’un vif et d’une expression un peu trop naïve. On chercherait en vain des leçons de morale dans les personnages de don Sanche et du comte de Moncade ; le premier est frappé de mort au moment où, triomphant d’une passion impétueuse, il va s’honorer par un acte vertueux et sublime ; l’autre, scélérat profond et incorrigible, échappe au glaive de la justice. Mais l’être le plus révoltant de tous ceux qui figurent dans ce tableau, c’est la duègne Léonore, parce que l’auteur a mis une affectation particulière à solliciter pour elle quelque indulgence. Cette odieuse et méprisable créature, avare, cupide, basse, dissolue, perfide, superstitieuse, complice et seul exécuteur des barbaries raffinées