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ARLINCOURT.

au-dessus des intelligences vulgaires, telles que la nôtre, que leur sublimité devient incompréhensible. Nous nous bornerons à citer quelques fragments pris au hasard, dans la persuasion que c’est le meilleur moyen d’exciter la curiosité de ceux qui auraient la velléité de se passer la fantaisie de lire ce fatras. M. le vicomte d’Arlincourt débute de manière à fermer la bouche à quiconque oserait l’accuser d’employer un style rauque, rocailleux et barbare. Voici son invocation :

« Muse des rochers et des torrents !… puissant génie des orages !… farouche déité du Nord !… je te cherche ; j’ose t’appeler. Au roulement lointain de la foudre, accorde ta harpe sauvage !… Viens, je t’écoute… inspire-moi ! Lyre mélodieuse de la Grèce, loin de moi tes suaves accords ! »

La lyre de la Grèce a obéi, et M. d’Arlincourt a écrit sous la dictée du tonnerre, de l’orage, du bruit des torrents et des échos retentissants des cavernes profondes. Son Renégat est le beau idéal de l’effroyable nébuleux ; voici son portrait :

« Du blanc cadavéreux de son œil infernal se détache une prunelle sanglante, et sur son large front s’imprime en caractère de feu le sceau de la réprobation. Il est énergique comme le cri du désespoir, sauvage comme la route du désert, sinistre comme la pensée du néant ; il est une œuvre antisociale. » Ce qui n’empêche pas qu’une belle princesse d’Asie et une charmante princesse de France ne se plaisent beaucoup dans sa société, et ne meurent toutes deux d’amour pour lui.

Il y a dans cet ouvrage des beautés de plus d’un genre, et qui indiquent des connaissances très-variées : on y trouve de la physique, de la métaphysique, de la géologie, de la botanique, de l’histoire naturelle, de l’architecture et de la médecine ; sciences dont les préceptes ont été inculqués à M. le vicomte d’Arlincourt par la muse des rochers et par la farouche déité du Nord. Voici une définition de l’âme qui nous paraît singulièrement neuve d’expression, même après tout ce que les philosophes ont dit sur cette matière, qui n’en est pas une :

« Illustre étrangère, née dans les cieux, jetée captive et dépaysée en une enveloppe périssable… elle passe mystérieuse au milieu des terrestres voies, et disparaît inexpliquée d’elle-même et de ses semblables, sous les voiles de l’éternité. »

Nous ne parlerons pas du style, on sait que M. d’Arlincourt en a un à lui. Qui oserait d’ailleurs se permettre la plus légère critique à l’égard d’un écrivain colossal qui vous dit sans ambiguïté :

« Honte et mépris à qui se permet de juger légèrement ces hommes qui, du milieu de leurs contemporains, s’élèvent ainsi