Page:Revue des Romans (1839).djvu/374

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guillotine ; il a senti que ces contrastes, qui plaisent lorsqu’ils arrivent naturellement, choquent toujours lorsqu’ils sont amenés avec une sorte d’industrie laborieuse. — Quoique l’intention du roman qui nous occupe soit, au fond, nous le pensons, moqueuse et satirique, cependant il est arrivé à l’auteur ce qui devait arriver à un jeune homme d’une imagination vive et brillante ; il a commencé certaines scènes en esprit de parodie ; puis à la fin il les a prises au sérieux. C’est une sorte d’inconséquence toute naturelle, et on doit savoir gré à l’auteur de s’y être abandonné. En effet, il y a dans le genre horrible des sources de beauté : le tout est de savoir y puiser avec sobriété, et de ne pas s’y jeter, comme on fait, à corps perdu. Voici un cimetière, un hôpital, une prison ; quel homme, s’il a de l’imagination, si sa pensée a de la force et de la vivacité, quel homme devra s’abstenir de peindre les scènes qui s’y rencontrent, les sentiments et les idées des hommes qui habitent ces tristes demeures ? Peignez, peignez donc hardiment, ne craignez pas l’horreur : seulement, votre tableau achevé, n’en recommencez pas un autre du même genre, ne nous traînez pas de l’hôpital à l’amphithéâtre de dissection et de là à ces coins de cimetière qui ne reçoivent jamais que des débris d’hommes, restes hideux du scalpel. On peut quelquefois, sans être prude ou bégueule, s’accommoder de l’horreur quand il le faut ; mais ce qu’on ne peut souffrir sans dégoût, c’est que l’horreur, qui autrefois dans les livres n’était que l’épisode, aujourd’hui fasse le fond et le sujet même ; c’était une exception, aujourd’hui c’est une règle ; elle faisait des pages, elle fait des volumes. Il est curieux de voir comment l’auteur de l’Âne mort flotte entre l’envie qu’il a de parodier et l’envie qu’il a aussi de prendre au sérieux ses inventions, allant tour à tour de la moquerie à l’imagination, tantôt exagérant à dessein, tantôt se laissant séduire par l’occasion de quelque scène terrible ou gracieuse, et la faisant de bonne foi et avec un rare talent, puis s’interrompant comme par réflexion, et revenant à la satire ; parfois il commence avec l’idée de faire une caricature, et il finit par faire un tableau : on dirait, chose singulière, qu’il est dupe du genre même dont il se moque. Cependant, malgré toute cette incertitude, il y a dans ce livre une originalité, un mouvement d’esprit, un mélange enfin de toutes choses, de grâces, de moquerie, d’horreurs, de bon sens, de folie, qui pique et qui réveille le lecteur.

Henriette est une jeune fille des champs. L’inconnu qui raconte son histoire, la rencontre dans une scène villageoise, dont le récit brille de naturel, de grâce, de sentiment. On voit, on sent l’impression que fait sur lui sa beauté vive, agaçante, hardie, légère, sa marche aérienne, sa course animée, ce sourire folâtre qui dé-