Page:Revue des Romans (1839).djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fielding par un caractère fortement dessiné, par un plan bien conçu, ou, comme dans ceux de Smollet, par une humour franche et une connaissance profonde de la vie humaine ; et lorsqu’il est prophétique, il ne l’est point de la même manière que Richardson et Sterne. Toutefois, les ouvrages de Mackensie peuvent être considérés comme appartenant à la même classe que celle de ces derniers auteurs ; et dans le grand nombre d’imitateurs qui ont cherché à rivaliser avec lui, il n’est pas un seul auteur anglais qui puisse lui être comparé. Mackensie s’est proposé surtout pour objet, dans ses romans, d’être à la fois pathétique et moral, en peignant l’effet d’un événement, soit important, soit insignifiant, sur l’homme en général, et particulièrement sur ceux qui sont non-seulement justes, honorables et éclairés, mais naturellement plus propres à éprouver ces sentiments délicats auxquels restent fermés les cœurs ordinaires. Ce fut le but direct et avoué de Mackensie dans son roman de l’Homme sensible. — Harley, c’est le nom de l’homme sensible, a reçu de la nature un cœur affectueux, facile à toutes les impressions du bien ; une âme dont l’excessive délicatesse est l’unique et noble défaut ; mais cette délicatesse excessive n’est pas une sensiblerie niaise qui porte indifféremment sur tous les objets ; la sensibilité d’Harley est noble et touchante, elle s’adresse aux misères humaines ; le faible trouve en lui un appui, l’opprimé un défenseur, sa compassion descend même jusqu’au vice, parce que le vice est encore un malheur, surtout quand il n’est qu’une faiblesse, et c’est le plus souvent. On sent qu’une âme si belle était faite pour la plus douce des sympathies, l’amour ; aussi Harley devient-il amoureux, et cette passion qu’il renferme en lui-même use le reste de ses forces. N’en trouvant plus pour supporter l’excès de son bonheur, quand il apprend que son amour est partagé, il expire, et sa mort, admirablement racontée par Mackensie, est vraiment déchirante. — L’Homme sensible n’est point une histoire, mais une série d’incidents qui se succèdent, et sont tous rendus intéressants par les sentiments qu’ils excitent dans Harley, dont le caractère est supérieurement tracé. Quoique dupé et escroqué à Londres, Harley ne cesse pas d’être à nos yeux un homme de sens et d’esprit ; il n’est pas exposé à cette espèce de mépris que les lecteurs, en général, ont pour les nouveaux débarqués dans la capitale, parce que c’est une occasion de s’applaudir eux-mêmes de la connaissance qu’ils ont du monde. La conduite énergique d’Harley avec l’impertinent voyageur qu’il rencontre dans la diligence, son mouvement d’indignation en écoutant l’histoire d’Édouard, sont des détails amenés avec art, pour montrer aux lecteurs que la douceur et l’affabilité de son caractère ne tiennent point à la