Page:Revue des Romans (1839).djvu/571

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mais de celle de la vie entière de l’homme, dont le cours se déroule naturellement depuis la naissance jusqu’à la mort. — Eugène de Senneville, constamment dupe de lui-même et des autres, raconte ses aventures et celles de Guillaume Delorme, le fils du fermier de son père, son frère de lait, son camarade de collége, dont la vie a été aussi bien réglée, aussi bien remplie que la sienne a été vide et mal ordonnée ; arrivé à l’âge où l’on est revenu de ses erreurs, et devant en grande partie ce retour aux bons avis, et surtout aux bons exemples de Guillaume, il s’acquitte envers son ami en lui donnant de justes éloges ; et en faisant l’aveu sincère de ses torts passés, il les expie pour ainsi dire, et acquiert le droit de se les reprocher moins vivement.

Picard s’est principalement attaché, dans ce roman, à la peinture des caractères. On y trouve des physionomies expressives et tellement vraies qu’on se rappelle les avoir vues, et qu’on doit en rencontrer de semblables dans la société. Qui n’a pas rencontré dans le monde un original comme César le bossu, citant à tout propos quelques vers de son cher Horace, et donnant à ses parents de ces sages conseils qui sont toujours si mal suivis ? Après avoir voulu pendant quelque temps, en dépit de la nature, se mêler à la foule des acteurs, il s’est prudemment retiré à l’écart pour ne jouer que le rôle de spectateur. Un des personnages le plus spirituellement dessinés est l’abbé Doriolis, prestolet frivole et suffisant, qui a fait de très-faibles études, mais a appris à bien conduire sa jolie voix, qui craint plus que tout le froid et le hâle, qui répond par des lieux communs ou des défaites à ceux qui veulent sonder son mince savoir, et se venge d’eux par de froides épigrammes sur les défauts de leur taille ou de leur habit. Le portrait de Victor Mathelin, s’il n’a pas exactement son type dans la société, est formé d’éléments divers si bien assortis, qu’il semble avoir été créé par la nature ; fils de banquier, devenu banquier lui-même, ce petit homme épais et rond, à la face épanouie, gros rieur sans sujet, grand parleur sans motifs, fait banqueroute pour faire plus vite sa fortune, et rit au nez de ceux qui viennent lui reprocher de les avoir ruinés. Beauclair est un fripon qui a juste acquis ce qu’il faut pour prendre beaucoup d’ascendant sur les caractères faibles ; beaucoup de jactance, de la hardiesse et de l’impudence. Gaspard, fripon d’une autre espèce, est tout juste ce qu’il doit être pour ruiner un homme et exciter l’indignation de tous les autres ; c’est un très-habile et très-avide procureur, qui renonce à gruger de petits clients dans une étude obscure, pour dépouiller un jeune homme riche et dépensier qui lui confie la régie de ses biens, dont il devient en peu de temps propriétaire. Pour faire contraste à cette figure, l’auteur peint celle d’un homme d’esprit