Page:Revue des religions, Vol 2, 1892.djvu/250

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une époque déterminée de son histoire. Il arrive aussi, au cours du poème, que les sentiments particularistes font place à des vérités plus largement humaines. Un accent plus profond coupe heureusement, en maints endroits, le thème banal inspiré par la circonstance.

Ainsi, sur la femme, le poète chaldéen nous a-t-il fait part de l’expérience des antiques générations, qui fut aussi celle de tous les temps. Nul assurément, mieux que ce mage, ne nous a révélé cet être double et contradictoire, à la fois charmant et redoutable, nul ne nous a dévoilé d’une main plus sûre les mystères de ce cœur, où s’allient, en des proportions étranges, la douceur et la cruauté. Harimtu et Samhatu, si délicieusement perverses qu’elles arrachent à ses bêtes le monstre Eabani et l’attirent à elles, Istar, la Vénus inassouvie, abêtissant, paralysant ou tuant ceux qu’elle a séduits, dans sa furie d’amour, sont vraiment des créations éternelles.

De même, où trouver ailleurs une peinture plus vraie de l’amitié. L’amitié de Gilgamès et d’Eabani est au nœud même de l’action. Au début, Gilgamès envoie quérir Eabani, puis, une fois qu’il se l’est attaché, nous voyons les deux amis, toujours inséparables, courir les mêmes aventures, jusqu’au jour où la mort impitoyable vient les désunir ; alors, Gilgamès, inconsolable, part à la recherche d’Eabani, qu’il lui est donné enfin de revoir dans une suprême évocation. L’épopée de Gilgamès, on le voit, est à la lettre le poème de l’amitié. Qu’on relise en particulier, pour mieux s’en convaincre, cette scène familière, où les deux héros, après avoir terrassé le taureau divin, suscité contre eux par la colère d’Istar et lavé leurs mains dans l’Euphrate, s’asseoient à côté l’un de l’autre comme des frères, ou encore, cette lamentation