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Que de larmes représente chacun de ces chiffres ? que de cris d’angoisse ! que de malédictions violemment refoulées dans les abîmes du cœur ! Voilà pourtant la condition du peuple à Paris, la ville de la science, la ville des arts, la rayonnante capitale du monde civilisé. Ville, du reste, dont la physionomie ne reproduit que trop fidèlement tous les hideux contrastes d’une civilisation tant vantée : les promenades superbes et les rues fangeuses, les boutiques étincelantes et les ateliers sombres, les théâtres où l’on chante et les réduits obscurs où l’on pleure, des monuments pour les triomphateurs et des salles pour les noyés, l’Arc de l’Étoile et la Morgue !

C’est assurément une chose bien remarquable que la puissance d’attraction qu’exercent sur les campagnes ces grandes villes où l’opulence des uns insulte à tout moment à la misère des autres. Le fait existe pourtant, et il est trop vrai que l’industrie fait concurrence à l’agriculture. Un journal dévoué à l’ordre social actuel, reproduisait naguère ces tristes lignes tombées de la plume d’un prélat, l’évêque de Strasbourg : « Autrefois, me disait le maire d’une petite ville, avec 300 fr. je payais mes ouvriers ; maintenant 1,000 fr. me suffisent à peine ; si nous n’élevons très haut le prix de leurs journées, ils nous menacent de nous quitter pour travailler dans les fabriques. Et cependant, combien l’agriculture, la véritable richesse de l’État, ne doit-elle pas souffrir d’un part-il ordre de choses ? Et remarquons que, si le crédit industriel s’ébranle, si une de ces maisons de commerce vient à crouler, trois ou quatre mille ouvriers languissent tout-à-coup sans travail, sans pain, et demeurent à la charge du pays. Car ces malheureux ne savent point économiser pour l’avenir, chaque semaine voit disparaître le fruit de leur travail. Et dans les temps de révolutions, qui sont précisément ceux où les banqueroutes deviennent plus nombreuses, combien n’est pas funeste à la tranquillité publique cette population d’ouvriers affamés qui passent tout-à-coup de l’intempérance à l’indigence ! Ils n’ont pas même la ressource de vendre leurs bras aux cultivateurs ; n’étant plus accoutumés aux rudes travaux des champs, ces bras énervés n’auraient plus de puissance. »

Ce n’est donc pas assez que les grandes villes soient les foyers de l’extrême misère, il faut encore que la population des campagnes soit invinciblement attirée vers ces foyers qui doivent la dévorer. Et, comme pour aider à ce mouvement funeste, ne voilà t-il pas qu’on va créer des chemins de fer ? car les chemins de fer qui, dans une société sagement organisée, constituent un progrès immense, ne sont dans la nôtre qu’une calamité nouvelle. Ils tendent à rendre solitaires les lieux où les bras Manquent, et à entasser les hommes là où beaucoup demandent en vain qu’on leur fasse une petite place au soleil ; ils tendent à compliquer