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fluence sur la moralité des enfants, il ajoute que la France commence à être infectée des mêmes usages qui ont pris racine en Angleterre, où il a été constaté par un tableau du Journal of Education, qu’en quatre jours quatorze cent quatorze enfants avaient fréquenté quatorze boutiques de rogommistes. Et comment, sans une réorganisation du travail, arrêter ce dépérissement rapide du peuple ? Par des lois qui règlent l’emploi des enfants dans les manufactures ? C’est ce qui vient d’être tenté. Oui, telle est en France la philanthropie du législateur, que la chambre des Pairs vient de fixer à huit ans l’âge où l’enfant pourrait être dépersonnalisé par le service d’une machine. Suivant cette loi d’amour et de charité. L’enfant de 8 ans ne serait plus astreint par jour qu’à un travail de 8 heures, et celui de 12 ans à un travail de 12 heures. Ceci n’est qu’un plagiat du factory’s bill. Et quel plagiat ! mais, après tout, il faudra l’appliquer, cette loi : est-elle applicable ? Que répondra le législateur au malheureux père de famille qui lui dira : « J’ai des enfants de huit, de neuf ans : si vous abrégez leur travail, vous diminuez leur salaire. J’ai des enfants de six, de sept ans ; le pain me manqua pour les nourrir : si vous me défendes de les employer, vous voulez donc que je les laisse mourir de faim » ? Les pères ne voudront pas, s’est-on écrié. Les forcer à vouloir, est-ce possible ? et sur quel droit, sur quel principe de justice s’appuierait cette violence faite à la pauvreté ? On ne peut, sous ce régime-ci, respecter l’humanité dans l’enfant sans l’outrager audacieusement dans le père ! Le Courrier français avouait dernièrement que c’était là une difficulté grave ; je le crois bien. Ainsi, sans une réforme sociale, il n’y a pas ici de remède possible. Ainsi, le travail, sous l’empire du principe de concurrence, prépare à l’avenir une génération décrépite, estropiée, gangrenée, pourrie. Ô riches, qui donc ira mourir pour vous sur la frontière ? Il vous faut des soldats, pourtant.

Mais à cet anéantissement des facultés physiques et morales des fils du pauvre vient s’ajouter l’anéantissement de leurs facultés intellectuelles. Grâce aux termes impératifs de la loi, il y a bien un instituteur primaire dans chaque localité, mais les fonds nécessaires pour son entretien ont été partout votés avec une lésinerie honteuse. Ce n’est pas tout ; nous avons parcouru il n’y a pas longtemps les deux provinces les plus civilisées de France, et toutes les fois qu’il nous est arrivé de demander à un ouvrier pourquoi il n’envoyait pas ses enfants à l’école, il nous a répondu qu’il les envoyait à la fabrique. Ainsi nous avons pu vérifier par une expérience personnelle ce qui résulte de tous les témoignages, et ce que nous avions lu dans le rapport officiel d’un membre de l’Université, M. Lorain, dont voici les propres expressions : « Qu’une fabrique, une filature, un arsenal, une usine, vienne à s’ouvrir : vous pouvez fermer l’école. » Qu’est-ce donc qu’un ordre social où l’industrie est prise eu flagrant délit de lutte contre l’éducation ?