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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

précédent, qu’est-ce qu’on détermine en mesurant les deux déviations ? C’est la vitesse d’une part, et d’autre part le rapport de la charge à la masse transversale totale. Comment, dans ces conditions, faire, dans cette masse totale, la part de la masse réelle et celle de la masse fictive électromagnétique ? Si l’on n’avait que les rayons cathodiques proprement dits, il n’y faudrait pas songer ; mais, heureusement, on a les rayons du radium qui, nous l’avons vu, sont notablement plus rapides. Ces rayons ne sont pas tous identiques et ne se comportent pas de la même manière sous l’action d’un champ électrique et magnétique. On trouve que la déviation électrique est fonction de la déviation magnétique, et l’on peut, en recevant sur une plaque sensible des rayons du radium qui ont subi l’action des deux champs, photographier la courbe qui représente la relation entre ces deux déviations. C’est ce qu’a fait Kaufmann, qui en a déduit la relation entre la vitesse et le rapport de la charge à la masse apparente totale, rapport que nous appellerons ε.

On pourrait supposer qu’il existe plusieurs espèces de rayons, caractérisés chacun par une vitesse déterminée, par une charge déterminée et par une masse déterminée. Mais cette hypothèse est peu vraisemblable ; pour quelle raison, en effet, tous les corpuscules de même masse prendraient-ils toujours la même vitesse ? Il est plus naturel de supposer que la charge ainsi que la masse réelle sont les mêmes pour tous les projectiles, et que ceux-ci ne diffèrent que par leur vitesse. Si le rapport ε est fonction de la vitesse, ce n’est pas parce que la masse réelle varie avec cette vitesse ; mais, comme la masse fictive électromagnétique dépend de cette vitesse, la masse totale apparente, seule observable, doit en dépendre, bien que la masse réelle n’en dépende pas et soit constante.

Les calculs d’Abraham nous font connaître la loi suivant laquelle la masse fictive varie en fonction de la vitesse ; l’expérience de Kaufmann nous fait connaître la loi de variation de la masse totale. La comparaison de ces deux lois nous permettra donc de déterminer le rapport de la masse réelle à la masse totale.

Telle est la méthode dont s’est servi Kaufmann pour déterminer ce rapport. Le résultat est bien surprenant : la masse réelle est nulle.

On s’est trouvé ainsi conduit à des conceptions tout à fait inattendues. On a étendu à tous les corps ce qu’on n’avait démontré que pour les corpuscules cathodiques. Ce que nous appelons masse ne serait qu’une apparence ; toute inertie serait d’origine électromagnétique. Mais alors la masse ne serait plus constante, elle augmenterait avec la vitesse ; sensiblement constante pour des vitesses pouvant aller jusqu’à 1 000 kilomètres par seconde, elle croîtrait ensuite et deviendrait infinie pour la vitesse de la lumière. La masse transversale ne serait plus égale à la masse longitudinale : elles seraient seulement à peu près égales si la vitesse n’est pas trop grande. Le principe B de la Mécanique ne serait plus vrai.

III.Les Rayons-Canaux.

Au point où nous en sommes, cette conclusion peut sembler prématurée. Peut-on appliquer à la matière tout entière ce qui n’a été établi que pour ces corpuscules si légers, qui ne sont qu’une émanation de la matière et peut-être pas de la vraie matière ? Mais, avant d’aborder cette question, il est nécessaire de dire un mot d’une autre sorte de rayons. Je veux parler d’abord des rayons-canaux, les Kanalstrahlen de Goldstein. La cathode, en même temps que les rayons cathodiques chargés d’électricité négative, émet des rayons-canaux chargés d’électricité positive. En général, ces rayons-canaux, n’étant pas repoussés par la cathode, restent confinés dans le voisinage immédiat de cette cathode, où ils constituent la « couche chamois », qu’il n’est pas très aisé d’apercevoir ; mais, si la cathode est percée de trous, et si elle obstrue presque complètement le tube, les rayons-canaux vont se propager en arrière de la cathode, dans le sens opposé à celui des rayons cathodiques, et il deviendra possible de les étudier. C’est ainsi qu’on a pu mettre en évidence leur charge positive et montrer que les déviations magnétiques et électriques existent encore, comme pour les rayons cathodiques, mais sont beaucoup plus faibles.

Le radium émet également des rayons analogues aux rayons-canaux, et relativement très absorbables, que l’on appelle les rayons α.

On peut, comme pour les rayons cathodiques, mesurer les deux déviations et en déduire la vitesse et le rapport ε. Les résultats sont moins constants que pour les rayons cathodiques, mais la vitesse est plus faible ainsi que le rapport ε ; les corpuscules positifs sont moins chargés que les corpuscules négatifs ; ou si, ce qui est plus naturel, on suppose que les charges sont égales et de signe contraire, les corpuscules positifs sont beaucoup plus gros. Ces corpuscules, chargés les uns positivement, les autres négativement, ont reçu le nom d’électrons.

IV.La Théorie de Lorentz.

Mais les électrons ne manifestent pas seulement leur existence dans ces rayons où ils nous apparaissent animés de vitesses énormes. Nous allons