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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

des armatures. Cela suppose que le champ est uniforme ; cela est-il certain ? Ne peut-il se faire qu’il y ait une chute brusque de potentiel dans le voisinage d’une des armatures, de l’armature négative, par exemple ? Il peut y avoir une différence de potentiel au contact entre le métal et le vide, et il peut se faire que cette différence ne soit pas la même du côté positif et du côté négatif ; ce qui me porterait à le croire, ce sont les effets de soupape électrique entre mercure et vide. Quelque faible que soit la probabilité pour qu’il en soit ainsi, il semble qu’il y ait lieu d’en tenir compte.

XI. — Le Principe d’Inertie.

Dans la nouvelle Dynamique, le Principe d’Inertie est encore vrai, c’est-à-dire qu’un électron isolé aura un mouvement rectiligne et uniforme. Du moins, on s’accorde généralement à l’admettre ; cependant, Lindemann a fait des objections à cette façon de voir ; je ne veux pas prendre parti dans cette discussion, que je ne puis exposer ici à cause de son caractère trop ardu. Il suffirait en tout cas de légères modifications à la théorie pour se mettre à l’abri des objections de Lindemann.

On sait qu’un corps plongé dans un fluide éprouve, quand il est en mouvement, une résistance considérable, mais c’est parce que nos fluides sont visqueux ; dans un fluide idéal, parfaitement dépourvu de viscosité, le corps agiterait derrière lui une poupe liquide, une sorte de sillage ; au départ, il faudrait un grand effort pour le mettre en mouvement, puisqu’il faudrait ébranler non seulement le corps lui-même, mais le liquide de son sillage. Mais, une fois le mouvement acquis, il se perpétuerait sans résistance, puisque le corps, en s’avançant, transporterait simplement avec lui la perturbation du liquide, sans que la force vive totale de ce liquide augmentât. Tout se passerait donc comme si son inertie était augmentée. Un électron s’avançant dans l’éther se comporterait de la même manière : autour de lui, l’éther serait agité, mais cette perturbation accompagnerait le corps dans son mouvement ; de sorte que, pour un observateur entraîné avec l’électron, les champs électrique et magnétique qui accompagnent cet électron paraîtraient invariables, et ne pourraient changer que si la vitesse de l’électron venait à varier. Il faudrait donc un effort pour mettre l’électron en mouvement, puisqu’il faudrait créer l’énergie de ces champs ; au contraire, une fois le mouvement acquis, aucun effort ne serait nécessaire pour le maintenir, puisque l’énergie créée n’aurait plus qu’à se transporter derrière l’électron comme un sillage. Cette énergie ne peut donc qu’augmenter l’inertie de l’électron, comme l’agitation du liquide augmente celle du corps plongé dans un fluide parfait. Et même les électrons négatifs, tout au moins, n’ont pas d’autre inertie que celle-là.

Dans l’hypothèse de Lorentz, la force vive, qui n’est autre que l’énergie de l’éther, n’est pas proportionnelle à mais à :

représentant la vitesse de la lumière ; la quantité de mouvement n’est plus proportionnelle à mais à :

la masse transversale est en raison inverse de et la masse longitudinale en raison inverse du cube de cette quantité.

On voit que, si est très faible, la force vive est sensiblement proportionnelle à la quantité de mouvement sensiblement proportionnelle à les deux masses sensiblement constantes et égales entre elles. Mais, quand la vitesse tend vers la vitesse de la lumière, la force vive, la quantité de mouvement et les deux masses croissent au delà de toute limite.

Dans l’hypothèse d’Abraham, les expressions sont un peu plus compliquées : mais ce que nous venons de dire subsiste dans ses traits essentiels.

Ainsi la masse, la quantité de mouvement, la force vive deviennent infinis quand la vitesse est égale à celle de la lumière. Il en résulte qu’aucun corps ne pourra atteindre par aucun moyen une vitesse supérieure à celle de la lumière. Et, en effet, à mesure que sa vitesse croît, sa masse croît, de sorte que son inertie oppose à tout nouvel accroissement de vitesse un obstacle de plus en plus grand.

Les auteurs qui ont écrit sur la Dynamique de l’Électron parlent, il est vrai, des corps qui vont plus vite que la lumière ; mais c’est pour se demander comment se comporterait un corps dont la vitesse initiale serait plus grande que celle de la lumière, qui aurait, par conséquent, déjà franchi la limite, avant qu’on s’occupât de lui ; ce n’est pas pour nous dire par quels moyens il pourrait franchir cette limite.

Une question se pose alors : admettons le Principe de Relativité ; un observateur en mouvement ne doit pas avoir le moyen de s’apercevoir de son propre mouvement. Si donc aucun corps dans son mouvement absolu ne peut dépasser la vitesse de la lumière, mais peut en approcher autant qu’on veut, il doit en être de même en ce qui concerne son mouvement relatif par rapport à notre observateur. Et alors on pourrait être tenté de raisonner comme il suit : L’observateur peut atteindre une