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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

XIII.La Gravitation.

La masse peut être définie de deux manières : 1o  par le quotient de la force par l’accélération ; c’est la véritable définition de la masse, qui mesure l’inertie du corps ; 2o  par l’attraction qu’exerce le corps sur un corps extérieur, en vertu de la loi de Newton. Nous devons donc distinguer la masse coefficient d’inertie, et la masse coefficient d’attraction. D’après la loi de Newton, il y a proportionnalité rigoureuse entre ces deux coefficients. Mais cela n’est démontré que pour les vitesses auxquelles les principes généraux de la Dynamique sont applicables. Maintenant, nous avons vu que la masse coefficient d’inertie croît avec la vitesse ; devons-nous conclure que la masse coefficient d’attraction croît également avec la vitesse et reste proportionnelle au coefficient d’inertie, ou, au contraire, que ce coefficient d’attraction demeure constant ? C’est là une question que nous n’avons aucun moyen de décider.

D’autre part, si le coefficient d’attraction dépend de la vitesse, comme les vitesses des deux corps qui s’attirent mutuellement ne sont généralement pas les mêmes, comment ce coefficient dépendra-t-il de ces deux vitesses ?

Nous ne pouvons faire à ce sujet que des hypothèses, mais nous sommes naturellement amenés à rechercher quelles seraient celles de ces hypothèses qui seraient compatibles avec le Principe de Relativité. Il y en a un grand nombre ; la seule dont je parlerai ici est celle de Lorentz, que je vais exposer brièvement.

Considérons d’abord des électrons en repos. Deux électrons de même signe se repoussent et deux électrons de signe contraire s’attirent ; dans la théorie ordinaire, leurs actions mutuelles sont proportionnelles à leurs charges électriques ; si donc nous avons quatre électrons, deux positifs A et A′, et deux négatifs B et B′, et que les charges de ces quatre électrons soient les mêmes, en valeur absolue, la répulsion de A sur A′ sera, à la même distance, égale à la répulsion de B sur B′, et égale encore à l’attraction de A sur B′, ou de A′ sur B. Si donc A et B sont très près l’un de l’autre, de même que A′ et B′, et que nous examinions l’action du système A+B sur le système A′+B′, nous aurons deux répulsions et deux attractions qui se compenseront exactement et l’action résultante sera nulle.

Or, les molécules matérielles doivent précisément être regardées comme des espèces de systèmes solaires où circulent des électrons, les uns positifs, les autres négatifs, et de telle façon que la somme algébrique de toutes les charges soit nulle. Une molécule matérielle est donc de tout point assimilable au système A+B dont nous venons de parler, de sorte que l’action électrique totale de deux molécules l’une sur l’autre devrait être nulle.

Mais l’expérience nous montre que ces molécules s’attirent par suite de la gravitation newtonienne ; et alors on peut faire deux hypothèses : on peut supposer que la gravitation n’a aucun rapport avec les attractions électrostatiques, qu’elle est due à une cause entièrement différente, et qu’elle vient simplement s’y superposer ; ou bien on peut admettre qu’il n’y a pas proportionnalité des attractions aux charges et que l’attraction exercée par une charge +1 sur une charge −1 est plus grande que la répulsion mutuelle de deux charges +1, ou que celle de deux charges −1.

En d’autres termes, le champ électrique produit par les électrons positifs et celui que produisent les électrons négatifs se superposeraient en restant distincts. Les électrons positifs seraient plus sensibles au champ produit par les électrons négatifs qu’au champ produit par les électrons positifs ; ce serait le contraire pour les électrons négatifs. Il est clair que cette hypothèse complique un peu l’Électrostatique, mais qu’elle y fait rentrer la gravitation. C’était, en somme, l’hypothèse de Franklin.

Qu’arrive-t-il maintenant si les électrons sont en mouvement ? Les électrons positifs vont engendrer une perturbation dans l’éther et y feront naître un champ électrique et un champ magnétique. Il en sera de même pour les électrons négatifs. Les électrons, tant positifs que négatifs, subiront ensuite une impulsion mécanique par l’action de ces différents champs. Dans la théorie ordinaire, le champ électromagnétique, dû au mouvement des électrons positifs, exerce, sur deux électrons de signe contraire et de même charge absolue, des actions égales et de signe contraire. On peut alors sans inconvénient ne pas distinguer le champ dû au mouvement des électrons positifs et le champ dû au mouvement des électrons négatifs et ne considérer que la somme algébrique de ces deux champs, c’est-à-dire le résultant.

Dans la nouvelle théorie, au contraire, l’action sur les électrons positifs du champ électromagnétique dû aux électrons positifs se fait d’après les lois ordinaires ; il en est de même de l’action sur les électrons négatifs du champ dû aux électrons négatifs. Considérons maintenant l’action du champ dû aux électrons positifs sur les électrons négatifs (ou inversement) ; elle suivra encore les mêmes lois, mais avec un coefficient différent. Chaque électron est plus sensible au champ créé par les électrons de nom contraire qu’au champ créé par les électrons de même nom.

Telle est l’hypothèse de Lorentz, qui se réduit à l’hypothèse de Franklin aux faibles vitesses ; elle rendra donc compte, pour ces faibles vitesses, de la