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aussi, une âme faible et versatile. Lui aussi, il a subi, quoi qu’il en dise ou qu’on en dise, l’influence des temps et des milieux, et ce sont ses apologistes mêmes qui en donnent, de très bonne grâce d’ailleurs, la preuve. Hippolyte Carnot avait remarqué, dans des exemplaires de plusieurs de ses ouvrages trouvés après sa mort dans ses papiers, des annotations qui tendaient à renier ou à supprimer certains passages trop révolutionnaires ou trop peu chrétiens[1].

De son côté, M.  Aulard, rapprochant des comptes-rendus contemporains du discours de Grégoire à la Convention, lorsqu’il refusa d’abjurer, le texte que l’orateur donna plus tard dans ses Mémoires, dit qu’« on emporte de cette comparaison l’impression que le discours de Grégoire s’était un peu transfiguré après coup dans son imagination[2]. » Ainsi il n’était pas moins facile à Grégoire qu’à beaucoup de ses collègues de se déjuger ou de se flatter selon l’occasion. Il n’y a donc aucun argument à tirer de son opinion sur le jugement de Louis XVI en faveur de son opinion sur la condamnation.

Dégagée de cette objection, voyons maintenant ce que vaut en elle-même la thèse de Grégoire. Il faut qu’il ait eu, comme le remarque M.  Aulard, l’imagination singulièrement transfigurative pour prétendre que Jeanbon-Saint-André se fit l’avocat des commissaires auxquels on reprochait l’équivoque de leur opinion. Ce n’est nullement pour faire respecter en eux la liberté des suffrages, comme on pourrait le présumer d’après le passage des Mémoires de Grégoire cité plus haut, que Jeanbon-Saint-André prit leur défense, mais tout au contraire pour dissiper cette équivoque, en affirmant qu’ils voulaient la mort. Le document suivant ne peut laisser subsister aucun doute sur ce point.

  1. « Pareille exaltation démagogique se remarque dans son Histoire patriotique des arbres de la liberté, publiée en 1794. L’auteur lui-même désavoue, sur un exemplaire que nous possédons, plusieurs passages destinés à être supprimés, si jamais on réimprimait ce petit livre. » Et en note : « Grégoire signale aussi, dans cet ouvrage comme dans plusieurs de ses discours, des altérations et intercalations qui, selon lui, sont le fait des commis auxquels la correction des épreuves était confiée. » Et plus loin : « Grégoire avait également jeté l’interdit sur son rapport au sujet de la Savoie et même sur son Éloge de la poésie, dont le ton lui semblait peu en harmonie avec la gravité du ministère ecclésiastique. » Donnons enfin ce dernier passage : « Grégoire aussi a laissé un ouvrage manuscrit sur l’Histoire de l’émigration ecclésiastique ; mais on lit, sur la première page, une note de sa main, dans laquelle il recommande de n’imprimer cet ouvrage qu’après avoir rectifié certains faits désavantageux à l’égard de quelques personnes sur lesquelles il a été involontairement induit en erreur. » (Mémoires de Grégoire, notice préliminaire par Hippolyte Carnot, t. I, p. 85 et 86.)
  2. La Révolution française, revue historique, 14 février 1891, p. 117.