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Lettre autographe signée de Jeanbon-Saint-André à ses collègues représentants du peuple dans les départements (sic) du Mont-Blanc.

Paris, 16 février 1793.

Votre lettre à la Convention au sujet de la mort du tyran portant le mot de condamnation, quelques personnes se plaisaient à dire qu’il y avait de l’équivoque dans l’expression de votre vœu. Il me sembla alors que votre confiance m’imposait le devoir de faire pour vous ce que j’eusse désiré qu’en pareil cas vous fissiez pour moi, de mettre au grand jour vos vrais sentiments qui étaient pour la mort, sans appel au peuple. Cette note fut insérée dans le Créole-Patriote, et j’ose croire que vous ne désapprouverez pas le parti que j’ai pris à cet égard[1].

Si l’interprétation de Jeanbon-Saint-André n’avait pas été la bonne, il est probable que l’abbé Grégoire se serait fait un « cas de conscience » de la désavouer, — la chose en valait, certes, la peine, — et il y aurait trace de ce désaveu au moins dans ses Mémoires. Or, non seulement il ne l’a jamais fait, que nous sachions, mais, quelques mois plus tard, il laissa échapper sa pensée, cette fois sans équivoque, et c’était pour la mort, — pour la mort sans condition ni restriction d’aucune sorte, comme Jeanbon l’avait dit, — qu’il se prononçait. C’est dans ce passage de son rapport sur sa mission dans la Savoie et les Alpes-Maritimes :

Parmi les causes qui ont glacé ou attiédi le patriotisme dans cette contrée, on doit compter la conduite de la Convention nationale. Législateurs, après avoir encore royalisé, en quelque manière, l’Europe, par la longueur de vos discussions sur un tyran qu’il fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud, vous avez encouragé les ennemis de la République, indigné la France et surtout les armées par le scandale de vos débats[2].

Un tyran qu’il fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud. Cela a été dit, écrit et signé par Grégoire, trois mois après la lettre où il opinait « pour la condamnation sans appel au peuple, » deux mois après celle où Jeanbon-Saint-André expliquait que ces mots signifiaient la

  1. Catalogue d’une collection d’autographes (Charon expert), 8 avril 1844, no  272. — Cette lettre, après avoir passé dans les collections Chambry et Bovet, figurait en dernier lieu dans un catalogue de M.  Eugène Charavay, 1887, no  72, p. 17.
  2. Convention nationale. Rapport présenté à la Convention nationale, au nom des commissaires envoyés par elle pour organiser les départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, par Grégoire, représentant nommé par le département de Loir-et-Cher (Paris, Impr. nat., in-8o, 49 p.). Nous avons reproduit ce passage d’après M.  Aulard, Recueil des actes du Comité de salut public, t. I, p. 463, note 1.