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samment que partout ailleurs, il semble bien, a fortiori, qu’il ait dû en être de même sur le continent. Réduits à leurs propres ressources, les historiens de France et d’Allemagne peuvent, en effet, apporter bien peu de chose à l’appui de leur thèse. M. Gierke avoue lui-même que l’on ne trouve en Allemagne qu’une seule Schutzgilde primitive : la Richerzeche de Cologne. Mais, précisément, de récents travaux ont montré que cette corporation fameuse n’a rien de commun avec une gilde marchande[1]. Quant aux textes que l’on cite habituellement en France : les chartes de Saint-Omer et d’Aire, ils n’ont pas, je pense, la valeur qu’on leur attribue. Dans la charte de Saint-Omer, la gilde et la commune apparaissent comme parfaitement distinctes l’une de l’autre ; dans celle d’Aire, le mot gilde ne se rencontre même pas, et c’est seulement sous l’influence d’idées préconçues qu’on a pu voir un statut de gilde dans la lex amicitiae[2] que nous fait connaître ce document. Je sais bien que certains auteurs sont tentés de voir des gildes dans les conjurationes et les communes jurées du xiie siècle[3]. Mais il est facile de montrer toute la différence qui existe entre la gilde, association volontaire, composée de bourgeois et de non-bourgeois, et la commune, dont tous les habitants de la ville doivent nécessairement faire partie. On remarquera d’ailleurs que les communes apparaissent surtout dans les régions où l’on ne voit pas que des gildes aient jamais existé[4]. Et là où, comme en Flandre par exemple, on rencontre à la fois la gilde et la commune, rien ne permet de faire sortir la seconde de la première. On a voulu parfois, il est vrai, considérer comme provenant des chefs de la gilde les jurati de la commune[5], mais les textes ne permettent pas d’ad-

  1. Voy. E. Kruse, Die Kölner Richerzeche. (Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Germ. Abtheil., IX, 152 et suiv.) — Cf. Liesegang, Zur Verfassungsgeschichte der Stadt Köln (Ibid., IX). Hegel, Städte und Gilden, II, 329 et suiv.
  2. Wilda a attribué à ce document une valeur décisive en faveur de sa théorie. Mais il faut remarquer que l’amicitia dont il est question dans ce texte est simplement synonyme de pax. À Lille, le rewart de la paix, qui n’a rien de commun avec une gilde, prend le nom de rewart de l’amitié. Si l’amicitia d’Aire était une gilde, elle ne comprendrait pas d’ailleurs des milites et des vavassores (§ 8). En outre, on ne voit pas que les membres des gildes aient jamais porté le nom d’amici : ils s’appellent fratres ou confratres. Si le § 1 de la charte d’Aire dit : unus subveniet alteri tanquam fratri suo, il veut seulement marquer par là que les bourgeois se doivent entre eux paix et protection.
  3. Gierke, op. cit., p. 267. Inama-Sternegg, Deutsche Wirthschaftsgeschichte, II, p. 328.
  4. À Laon, à Noyon, à Beauvais, à Cambrai, à Tournai, etc.
  5. S. Muller (Recht en Rechspraak te Utrecht in de Middeleeuwen. La Haye, 1885, p. 19) voit dans les jurati d’Utrecht les membres de la Koopmansgild.