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gilde, qu’il considère, dès le début, comme une simple corporation de grands marchands, est certainement trop étroite : elle ne peut expliquer pourquoi, dans un grand nombre de villes, la gilde exerce la surveillance du commerce et de l’industrie[1]. Elle ne parvient pas non plus à rendre compte de l’existence des hanses (gildes) de Flandre et d’Allemagne que nous voyons au xiie et au xiiie siècle chargées de l’organisation et de la protection du commerce urbain[2]. Manifestement, les gildes aristocratisées de la fin du moyen âge ne sont que les vestiges d’une institution primitive plus large, plus saine, plus robuste. Aussi disparaissent-elles presque partout au xive et au xve siècle, preuve évidente, à mon sens, qu’elles sont quelque chose de très différent des métiers, qui durent jusqu’à la fin de l’ancien régime. Quoi qu’il en soit d’ailleurs et quel que doive être le sort de la théorie de Nitzsch, elle aura eu, en tout cas, un grand mérite. Au lieu de considérer la gilde comme une association d’hommes libres groupés pour la protection de leur indépendance, Nitzsch y a vu surtout un phénomène provoqué par des causes économiques et sociales. Ce n’est plus, comme pour Wilda et M. Gierke, d’Altfreien, c’est de mercatores qu’elle se compose ; ce n’est pas pour la protection de la liberté, c’est pour la protection du commerce qu’elle est créée. Si par son nom elle nous reporte à la plus haute antiquité germanique, par son but elle appartient à l’histoire économique. Dans la grande gilde de Nitzsch, la bourgeoisie apparaît comme une classe de formation essentiellement sociale. Et, n’eussent-elles servi qu’à appeler sur ce point l’attention des travailleurs, les recherches du savant allemand n’en compteraient pas moins parmi celles qui, de nos jours, ont le plus puissamment contribué aux progrès de la science.

La gilde n’est pas la seule institution purement germanique par laquelle on ait essayé d’expliquer l’origine des constitutions urbaines du moyen âge. G.-L. von Maurer a été amené, par ses études sur l’organisation rurale de l’Allemagne, à chercher ailleurs la solution du problème. Il s’est appliqué à démontrer que les institutions des villes proviennent de celles des marches[3]. La Stadtverfassung n’est pour lui, en somme, qu’une forme spéciale de la Markverfassung. Puisque toute ville, au début, a été nécessairement un village, la

  1. Par exemple dans les villes brabançonnes. Voy. H. Vander Linden, Histoire de la constitution de la ville de Louvain au moyen âge. Gand, 1892, p. 41 et suiv.
  2. Sur les hanses, voy. le livre récent de C. Koehne, Das Hansgrafenamt. Berlin, 1893.
  3. G.-L. von Maurer, Geschichte der Städteverfassung in Deutschland. Erlangen, 1869-73, 4 vol.