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n’ont pas eu cette force créatrice qu’on se plaît souvent à leur attribuer. En 1138, l’abbé de Stavelot, Wibald, voulut fonder une ville neuve au pied de son château de Logne, dans la vallée de l’Ourthe. Il fit même rédiger, dans ce but, une charte de liberté dont nous avons conservé le texte. Ce fut en vain. Sa tentative échoua complètement, et Logne est resté jusqu’aujourd’hui un pauvre hameau de quelques chaumières au pied du vieux donjon[1].

Si la naissance des villes ne peut être attribuée ni aux monastères ni aux forteresses, convient-il du moins de la rapporter aux marchés ? On l’a prétendu dans les derniers temps, mais on a été, semble-t-il, trop pressé de conclure. Il est très vrai que toute ville, au moyen âge, est un centre de commerce et d’industrie, et, par là même, il est séduisant de la considérer comme un marché développé. Malheureusement, les faits se trouvent ici en contradiction avec la théorie. De même que nous ne voyons pas s’élever de villes autour des monastères les plus célèbres, de même nous n’en voyons pas non plus se former au siège des grandes foires du moyen âge. Il en est ainsi, en France, de Bar-sur-Aube et de Lagny ; en Flandre, de Messines et de Thourout[2]. La foire, en effet, n’est qu’un rendez-vous de marchands[3]. Ils y sont attirés par des franchises et des privilèges de toute sorte. Il en est d’elle comme des sanctuaires célèbres, où les pèlerins affluent à certains moments de l’année, à certaines grandes fêtes. Mais, les indulgences gagnées ou les affaires terminées, pèlerins et marchands disparaissent également ; ni les uns ni les autres ne se fixent à demeure. Si nous passons des grandes foires du moyen âge aux marchés fondés en si grand nombre au cours du xe et du xie siècle, nous constaterons qu’eux non plus, mais pour d’autres motifs, n’ont pas produit de villes. Qu’on dresse la liste très nombreuse des localités où les empereurs germaniques ont établi des marchés : Rorschach, Kessel, Vuitumbruca, Bernsheim, Chur, Wisloch et bien d’autres[4], et l’on verra

  1. Janssen, Wibald von Stablo und Corvey, p. 61 et suiv.
  2. Ces localités ne sont devenues des villes qu’à la fin du moyen âge, et elles n’ont jamais eu qu’une importance secondaire.
  3. Le nom de nundinae forensium negotiatorum que portent souvent les foires montre bien qu’elles sont surtout établies dans l’intérêt des étrangers. Cf. Bücher, Die Entstehung der Volkswirthschaft, p. 44.
  4. Les fondations de marchés par les empereurs ont surtout été fréquentes au xe siècle. On les trouve réunies dans le tome I des Diplomata imperii, dans les Mon. Germ. Hist. Script. Les exemples de fondations de marchés par les rois de France sont beaucoup plus rares, sans doute à cause du faible pouvoir de ces princes. Leurs grands vassaux ont usurpé de très bonne heure le droit de fonder des marchés. On trouve même parfois, en France, des marchés appartenant à de simples particuliers (Cartul. de Savigny, nos 128, 335). Du reste, en droit, les foires et les marchés de France ne diffèrent pas des foires