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analyses. — lefèvre. Traduction de Lucrèce.

arbitrairement des phases diverses, mais dans le portrait définitif où il a pris soin de se peindre lui-même à nous.

A. Espinas.

André Lefèvre : Traduction de Lucrèce en vers français. Préface.

M. Lefèvre place, en tête de sa traduction énergique et puissante, une préface sur la personne et la philosophie de Lucrèce qui mérite d’être remarquée. Le dessein général du poëme, l’enchaînement des descriptions et des théories, la valeur des hypothèses et des divinations épicuriennes, le sens moral de la doctrine, enfin le génie même de l’âme du poète, tout est examiné, jugé avec la sympathie qu’il fallait attendre d’un des plus fermes disciples de cette école et de cette tradition.

Il est deux points, concernant Épicure et Lucrèce, que M. Lefèvre, assurément, n’a pas omis, auxquels pourtant sa critique eût pu s’arrêter davantage : à savoir, l’attitude de l’épicurisme envers la science, et la signification précise de ses idées sur le mouvement.

Il y a, en effet, quelque hésitation chez les premiers historiens de la philosophie (en particulier chez M. Zeller), au sujet de la façon dont Démocrite, Épicure et Lucrèce comprenaient le mouvement. En voyaient-ils l’origine et la nature dans un fait et une loi, telle que la pesanteur ; ou se l’expliquaient-ils, au contraire, comme une régression de chocs à l’infini ? Les deux interprétations sont également possibles, également soutenues. C’eût été la peine de se prononcer sur le débat.

Quant à la manière dont les épicuriens comprenaient la science elle-même, M. Lefèvre propose quelques raisons qui ont de l’intérêt. C’est un lieu commun aujourd’hui de relever, soit chez Épicure, soit chez Lucrèce, les témoignages de certaine indifférence, de certain dédain à l’égard des explications scientifiques. Épicure, à la vérité, ne tient pas plus à une hypothèse qu’à une autre en ce qui regarde l’astronomie, et Lucrèce expose tour à tour, sans montrer de préférence, ni faire de choix, plusieurs théories très-différentes sur le soleil et les éclipses. D’où vient ce laisser-aller et cette insouciance de la part d’une philosophie, longtemps regardée comme l’origine des écoles positives ? M. Lefèvre remarque, avec justesse, que cette prétendue nonchalance épicurienne ne s’étend, à proprement parler, qu’aux détails et aux parties secondaires de la théorie : peu importe, en effet, que telle ou telle explication soit admise sur tel ou tel point, pourvu que l’ensemble, pourvu que la grande conception philosophique, qui s’appelle l’épicurisme, reste intacte. Du moment que les atomes, le vide, le mouvement, la nature matérielle et mortelle du monde sont acceptés, à quoi bon se préoccuper de telle minutie scientifique, qui ne relève que de la curiosité oisive ? « En reconnaissant son ignorance partielle, l’épicurien accepte d’avance toutes les informations de l’expérience scientifique. Il accueille