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naville. — hypothèse dans la science

filantes. Ce résultat de l’observation peut être énoncé ainsi : « On a vu la comète simple, puis la comète brisée en deux parties, puis la comète résolue en une multitude de fragments. Cet énoncé qui ramènerait tout à l’observation seule ne serait pas exact. En réalité on a vu un corps en 1826, deux en 1846 et 1852, une multitude en 1872, et l’on a supposé que ces corps multiples étaient le produit de la désagrégation du corps unique observé au début. Pour constater en ce cas l’élément d’hypothèse dans l’explication des apparences, il suffit de savoir que, le 4 mars 1872, l’astronome Donati de Florence annonçait, à titre de supposition, la présence des étoiles filantes de 1872 dont l’apparition a confirmé sa conjecture[1]. En prenant l’histoire des découvertes à sa source, dans les textes originaux, on arriverait à saisir presque toujours les vérités expérimentales les mieux établies aujourd’hui sous la forme conjecturale qui a été nécessairement leur forme primitive.

L’hypothèse a donc sa place toujours nécessaire, à côté de l’observation et de la vérification. Il y a plus : elle intervient dans l’observation même et dans la vérification.

Les annales de la science renferment le récit de découvertes fortuites. Les travaux des alchimistes leur ont fait rencontrer des corps nouveaux auxquels ils ne pensaient point. On peut trouver des fossiles en creusant un puits ; une plante nouvelle se rencontre sous les pas d’un voyageur. Il arrive aussi qu’un savant, en suivant une recherche, peut découvrir une chose qu’il ne cherchait pas. C’est ainsi que Scheele a découvert le chlore, dont il ne soupçonnait pas l’existence, en travaillant à isoler le manganèse. C’est ainsi encore que M. Claude Bernard, en instituant des expériences pour constater un organe destructeur du sucre dans les animaux, a été conduit, au contraire, à constater que le foie est un organe producteur du sucre[2]. Il existe donc des découvertes qui sont le résultat d’une observation directe et qui revêtent parfois un caractère fortuit. L’observation d’ailleurs qui, en révélant un fait, pose un problème, est la base première de tout travail scientifique. Mais, si l’observation suscite l’hypothèse dans l’esprit du savant, l’hypothèse, à son tour, provoque des observations nouvelles. Il s’agit ici d’une affaire de proportion, et je ne pense pas exagérer en disant que les observations dirigées par des hypothèses sont aux observations pures et simples, au moins comme cent est à un. Le monde est immense, et il faut

  1. Archives des sciences physiques et naturelles de la Bibliothèque Universelle du 15 janvier 1873.
  2. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Troisième partie, chap. I, § 2.